dimanche 24 octobre 2010

Noir Océan

Noir Océan est un roman noir de l'auteur islandais Stefan Mani.

Présentation de l'éditeur :
De lourds nuages noirs s'amoncellent dans le ciel zébré d'éclairs au moment où le Per se quitte le port de Grundartangi en Islande en direction du Surinam. À son bord, neuf membres d'équipage qui, tous, semblent avoir emporté dans leurs bagages des secrets peu reluisants.
Ceux qui ont entendu dire que la compagnie de fret allait les licencier et qu'il s'agit là de leur dernier voyage sont bien décidés à prendre les choses en main, une fois que la météo sera plus favorable. La mutinerie n'est pas loin et, très vite, l'atmosphère se charge de suspicion, de menaces et d'hostilité.
Quand les communications sont coupées par l'un des membres de l'équipage – mais lequel ? –, la folie prend peu à peu le contrôle du bateau qui n'en finit pas de dériver vers des mers toujours plus froides et inhospitalières...

Noir Océan est un huis clos terrifiant où l'enfer c'est les autres, un enfer sous forme de bateau encerclé par un immense océan déchaîné. Un enfer marin qui laisse les hommes à la merci de leur propre folie.
Tout au long de l'histoire, il règne une tension oppressante qui  déjà offre au lecteur la perception évidente d'un final forcément tragique. Les marins s'embarquent dans une galère où le naufrage de leur propre conscience est proche et semble inévitable.
Chacun des membres de l'équipage, plus ou moins prévus pour se joindre à la longue traversée vers le Surinam, embarque dans le navire en apportant dans son paquetage ses secrets, ses doutes et ses cauchemars. Neuf marins tendus et menacés par la possibilité d'une future restructuration se rejoignent sur  le port où les attendent le Per se ; le cargo qui risque de compter ces quelques hommes pour la dernière fois en son bord. Rapidement, le sujet des licenciements vient troubler le calme apparent de l'océan. Et lorsque toute communication devient impossible, chacun des sombres secrets empaquetés refait surface pour emplir de haine et de peur chacun des loups de mer coincés en plein océan.

Rien d'autre à voir que cette forme humaine au creux d'un fossé.
Une chaussure sur le bord de la route.
Et des gouttes de sang sur l'asphalte mouillé.

Noir Océan est une longue dérive maritime et mentale lors de laquelle l'océan vomit d'énormes et dangereuses vagues, alors que la folie guette chacun des passagers, tapie dans l'ombre de chacune de leurs peurs. Alors que le navire semble voguer vers les ténèbres, la position géographique, qui évolue au fur et à mesure du courant, remplace petit à petit la notion de temps dans le but d'indiquer non pas l'heure de la fin des temps mais la position de la fin du monde.
Le Per se devient vite la représentation de tout ce à quoi les marins se rattachent dans leur vie. Il est leur maison, leur femme, leur enfant. Et comme leurs vies, le bateau chavire et sombre vers des eaux infiniment profondes dans lesquelles se cachent les arcanes les plus enfouies qui vous rongent à tout jamais et vous conduisent vers les plus profondes abîmes.

La souffrance est la compagne de la conscience, laquelle est tissée dans l'étoffe de la vie elle-même.

Noir Océan est une sorte de récit lovecraftien des temps modernes, un pur chef d'œuvre littéraire fort d'une noirceur rare et terriblement poétique.

lundi 18 octobre 2010

L'attentat

L'attentat est le second volée de la trilogie consacrée "au dialogue de sourds opposant l'Orient et l'Occident" de Yasmina Khadra.

Présentation de l'éditeur :
Dans un restaurant de Tel Aviv, une jeune femme se fait exploser au milieu de dizaines de clients. À l'hôpital, le docteur Amine, chirurgien israélien d'origine arabe, opère à la chaîne les survivants de l'attentat. Dans la nuit qui suit le carnage, on le rappelle d'urgence pour examiner le corps déchiqueté de la kamikaze. Le sol se dérobe alors sous ses pieds: il s'agit de sa propre femme.
Comment admettre l'impossible, comprendre l'inimaginable, découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une personne dont on ignorait l'essentiel ? Pour savoir, il faut entrer dans la haine, le sang et le combat désespéré du peuple palestinien...

L'attentat est le témoignage douloureux d'un palestinien naturalisé israélien qui apprend que sa femme est morte dans un attentat terroriste. Mais le pire pour cet homme, parfaitement intégré, arrive lorsqu'il découvre que le kamikaze à l'origine de cette horreur n'est autre que sa propre femme. Une longue et dangereuse quête commence alors pour ce chirurgien soupçonné d'être un terroriste par les israéliens, et qui est perçu comme un traitre par les palestiniens.
Khadra dépeint le voyage périlleux d'Amine sur les traces des dernières jours de sa femme pour tenter de comprendre son geste. Obstiné, voire aveuglé, par la certitude de l'innocence de celle-ci, il en oublie presque l'existence du violent conflit israélo-palestinien, et ce, malgré le faciès tant montré du doigt par des israéliens apeurés.

Laissez-moi pleurer d'abord, ensuite achevez-moi, mais, de grâce, ne m'imposez pas l'émoi et l'effroi en même temps.

L'attentat s'avère être une confession bouleversante d'un homme qui se sent perdu et trahi par la femme qu'il aime. Khadra décrit avec beaucoup de sensibilité le désespoir de cet homme égaré entre deux nationalités qui doit faire face aux avis extrémistes des deux camps et qui ne peut rester neutre face à ce terrible conflit.
Qui d'autre que Yasmina Khadra aurait pu décrire aussi subtilement cette délicate alliance entre l'horreur la plus totale et la douceur des perceptions ressenties par le personnage ? Peut-être personne.
L'attentat est un pur chef d'œuvre littéraire écrit par l'une des plus belles plumes de notre époque. A découvrir !

dimanche 17 octobre 2010

No Life

No Life est un roman d'Al Coriana qui a la particularité d'être l'un des trois premiers auteurs édités grâce à l'association de My Major Company Books et de Xo Editions. Pour ceux qui ne connaissent pas, My Major Company est le premier label communautaire français qui permet aux internautes d'encourager les artistes, de donner leur avis et de participer à la production d'un album ou l'édition d'un livre.
Je fais partie de l'aventure  No Life en tant que co-éditeur et je suis très fier de vous le présenter en avant-première sur mon blog.

Présentation de l'éditeur :
Les « No life », « sans vie », sont ceux qui consacrent tout leur temps à Internet au lieu de vivre leur vraie vie.
Quand le roman démarre, un homme, 35 ans, décide de tout changer. Changer pour changer, parce qu’il a une intuition, celle que le monde tel qu’il le voit ne tourne pas rond. Que nous ne sommes que des marionnettes.
Mais il est très dangereux d’avoir un éclair de lucidité, quand on s’en prend à ceux qui tirent les ficelles... 
Une sorte de Matrix littéraire, décalé, haletant et subtil.

La particularité de ce roman d'anticipation est de traiter d'un cas qui s'amplifie de jour en jour : devenir un no life. Par définition, le no life est, comme l'indique la quatrième de couverture, une personne omnibulée par le monde de la toile, voire même totalement hypnotisée par la seconde vie qu'offre le web. Dans son roman, Al Coriana imagine que ce phénomène s'étend de plus en plus dans les prochaines années, mais outre cet aspect anticipé, l'auteur imagine un monde entièrement contrôlé par l'argent et donne à son roman des airs de pamphlet social.

J'ai trente-cinq ans depuis deux jours et ce que je viens de commettre est très grave.

L'auteur s'est risqué avec un style plutôt 'casse-gueule' en utilisant la première personne du singulier pour la narration du récit et l'emploi du présent de l'indicatif qui n'est pas toujours réputé pour être un bon choix narratif tant la dureté de la conjugaison ne donne pas l'impression d'une lecture agréable. Mais Al Coriana s'en sort plutôt pas mal malgré quelques coquilles de 'premier roman'.
L'intrigue, quant à elle, est haletante. Au fil du roman, il devient de plus en plus difficile de décrocher. L'auteur use d'un style brut et incisif qui offre au roman des chapitres courts, parfois même très courts, et produit un rythme effréné au récit.
Pour éviter de spoiler l'histoire, j'ajouterai seulement que No Life est un roman moderne sur un thème accrocheur et au style abrupte totalement en concordance avec l'effet voulu.

No Life paraît le 8 Novembre dans votre librairie, alors éteignez le PC et sortez l'acheter !

mercredi 13 octobre 2010

La carte et le territoire

La carte et le territoire est le nouveau roman de Michel Houellebecq, sélectionné pour le second tour du fabuleux prix Goncourt 2010.

Présentation de l'éditeur :
Si Jed Martin, le personnage principal de ce roman, devait vous en raconter l'histoire, il commencerait peut-être par vous parler d'une panne de chauffe-eau, un certain 15 décembre. Ou de son père, architecte connu et engagé, avec qui il passa seul de nombreux réveillons de Noël.
Il évoquerait certainement Olga, une très jolie Russe rencontrée au début de sa carrière, lors d'une première exposition de son travail photographique à partir de cartes routières Michelin. C'était avant que le succès mondial n'arrive avec la série des « métiers », ces portraits de personnalités de tous milieux (dont l'écrivain Michel Houellebecq), saisis dans l'exercice de leur profession.
Il devrait dire aussi comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une atroce affaire criminelle, dont la terrifiante mise en scène marqua durablement les équipes de police.
Sur la fin de sa vie il accédera à une certaine sérénité, et n'émettra plus que des murmures.
L'art, l'argent, l'amour, le rapport au père, la mort, le travail, la France devenue un paradis touristique sont quelques-uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne.

Alors que certains décrivent ce dernier roman de Michel Houellebecq comme un texte spécialement écrit pour le Goncourt, je trouve quant à moi que La carte et le territoire est le roman le plus personnel de l'auteur, et peut-être même le plus touchant. Piégé dans la peau de son propre personnage, Houellebecq tente une approche sur une pré autobiographie dans laquelle il dépeint ses craintes futures.
En effet, tantôt placé sur un piédestal, tantôt ridiculisé et comparé à une sorte de légume, Houellebecq semble parfois s'offrir une séance d'auto-psychanalyse. Alors, allongez-vous sur votre canapé, bien à l'aise, et laissez vous porter par la voix d'un auteur hors du temps et hors de notre monde social.

Les insectes et les hommes, d'autres animaux aussi, semblent poursuivre un but, leurs déplacements sont rapides et orientés, alors que les fleurs demeurent dans la lumière, éblouissantes et fixes.

Loin des passages crus de ses autres romans, son nouveau texte est plus posé mais offre avec toujours autant de génie une force stylistique rare. Le roman a quelque chose de captivant malgré le manque d'intrigue. A l'évidence, l'auteur ne joue pas sur cette carte pour s'emparer de son lecteur mais il paraît faire montre de franchise et de sincérité en s'autocritiquant dans un récit autobiographique façon 'miroir' où son reflet est le témoin de sa triste vie.
Jed Martin est ce témoin. Il est également le personnage principal. Véritable fortuné grâce à son don artistique, Jed n'en est pourtant que pauvre d'un point de vue social. Mis à part sa torride relation avec Olga, ses aventures se font rares et son carnet d'adresse ne semble pas bien fourni. Il y a fort à croire que Jed est ce reflet littéraire de l'auteur par lequel ce dernier laisse passer une partie de ses fantasmes.
Le récit se transforme alors en un discours schizophrène dans lequel chacun des personnages a son rôle à jouer autour du noyau central ; Jed.

et jusqu'à l'outing de Jean-Pierre Pernaut, tout concourait à ce fait sociologique nouveau : pour la première fois en réalité en France depuis Jean-Jacques Rousseau, la campagne était redevenue tendance.

La carte et le territoire est un roman d'anticipation proposant humour et aveux. Houellebecq décrit sa vie future, aussi triste et dépressive que ce que renvoie l'image de l'auteur à l'heure actuelle. La relation entre Jed Martin et Houellebecq, le personnage, évolue tout au long du roman pour offrir au lecteur une connexion d'une puissance surprenante. Le regard du plus jeune envers son aîné va transformer ce lien en un véritable fanatisme artistique qui permettra à l'auteur de laisser sa marque sur le monde avant de mourir.
La carte et le territoire est bien plus qu'un simple cantique narcissique dans le but de nourrir les feuilles blanches des critiques toujours friands de satiriser l'auteur, c'est une œuvre profondément originale qui révèle les plus grandes peurs de celui-ci. L'une d'entre elle est de devenir sénile. Il met d'ailleurs tout en œuvre, aussi violent que cela puisse être, pour supprimer toute éventualité de devenir le vieillard de ses cauchemars.
Un roman bouleversant.

lundi 4 octobre 2010

La Religion

La Religion est un roman historique de l'anglais Tim Willocks.

Présentation de l'éditeur :
Mai 1565. Malte. Le conflit entre islam et chrétienté bat son plein. Soliman le Magnifique, sultan des Ottomans, a déclaré la guerre sainte à ses ennemis jurés, les chevaliers de l’ordre de Malte. Militaires aguerris, proches des templiers, ceux-ci désignent leur communauté sous le vocable de « la Religion ». Alors qu’un inquisiteur, arrive à Malte afin de restaurer le contrôle papal sur l’ordre, l’armada ottomane s’approche de l’archipel. C’est le début d’un des sièges les plus spectaculaires et les plus durs de toute l’histoire militaire.
Dans ce contexte mouvementé, Matthias Tanhauser, mercenaire et marchand d’armes, d’épices et d’opium, accepte d’aider une comtesse française, Carla La Penautier, dans une quête périlleuse. Pour la mener à bien, ils devront affronter les intégrismes de tous bords, dénouer des intrigues politiques et religieuses, et percer des secrets bien gardés.
Sur fond de conflits et de mystères religieux, cet ouvrage follement romanesque et d’une érudition sans faille témoigne d’un sens de l’intrigue remarquable. En explorant la mystérieuse histoire des chevaliers de l’ordre de Malte, Tim Willocks, porté par une langue aussi intense que réaliste, évoque autant Alexandre Dumas qu’Umberto Eco. Un classique immédiat.

Sonatine n'en finit pas de sortir de nouvelles pépites de son chapeau de magicien. Premier opus d'une trilogie tournant autour du personnage Mattias Tannhauser, la Religion inaugure avec force la série en plongeant son lecteur dans les pires atrocités possibles des guerres du XVIème siècle. Véritable fresque couleur rouge sang, ce roman historique joue sur divers plans. Aussi violent que romantique, la Religion assemble une multitude de genre et de sensation dans le but de méduser son lecteur dès le départ pour ne plus jamais le lâcher.

La nuit où les cavaliers écarlates l'emportèrent - du peu qu'il sache ou qu'il ait pu savoir - la pleine lune entrait dans le Scorpion, signe de sa naissance, et, comme animée par la main de Dieu, son incandescence découpait parfaitement la vallée alpine en ce qui était lumière et ce qui était ténèbres, et la lumière éclairait le chemin menant les démons vers sa porte.

Malgré quelques longueurs que l'on pardonnera à l'auteur, l'histoire est totalement surprenante et même parfois envoûtante. Tim Willocks est un conteur d'exception. Il instaure avec brio une atmosphère d'inquiétude et réussit également à donner de la saveur à chacun de ses personnages.
L'un d'entre eux est Mattias Tannhauser. Capturé à l'adolescence par les Turcs, il va devenir malgré l'époque un héros moderne. Fort de deux cultures et de deux religions bien différentes, Mattias renie tout pour s'échapper des diverses confrontations qui déchirent les peuples. Il est à la fois au centre de tout et loin de tout.

Sur un navire rouge et noir, traversant une mer noire et argent, ils filaient sous la lune vers les portes de l'enfer.

Attiré sur l'île de Malte pour une mission délicate, il va se retrouver en plein cœur de ce qui s'annonce être un véritable carnage. La flotte turque approche et les chevaliers maltais de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem sont bien moins nombreux que leurs ennemis. Partout où Mattias se déplace il suscite l'admiration et l'espoir. Son savoir de la guerre et son sens tactique serait un atout pour aider les maltais à tenir un peu plus face à ces envahisseurs assoiffés de sang et dirigés par le grand Soliman le Magnifique.
Dès lors commencent d'innombrables et violentes batailles au nom du fanatisme des hommes envers Dieu ou Allah. Mattias mène déjà un terrible combat en lui à ce sujet et a préféré la facilité en abandonnant toute divinité. Son courage, lui, il le puise dans son cœur.

Elles avaient relevé leurs jupes jusqu'à la taille, elles ramassaient des armes sur les morts, et quand elles parvinrent aux remparts et se jetèrent contre l'ennemi au corps à corps, Ludovico sentit ses yeux s'emplir de larmes.

La Religion est une épopée fabuleuse mélangeant suspense, romance et action. Malgré une impressionnante collection de personnages, jamais l'auteur ne perd son lecteur. Sa maîtrise pour la narration est impressionnante.
La Religion m'a tout simplement bouleversé car le récit expose de manière très juste de nombreuses questions profondément humaines. Encore une très grande lecture offerte par les éditions Sonatine !