jeudi 30 avril 2009

Une tombe accueillante

Une tombe accueillante est un roman de Michael Koryta dont la sortie est prévue le 7 Mai. A noter que ce roman est le 200ème titre publié dans la collection Seuil Policiers.

Présentation de l'éditeur :
Lincoln Perry gère tranquillement son agence de détectives lorsque l’inspecteur Targent commence à s’intéresser à lui : l’avocat Alex Jefferson vient d’être assassiné et, trois ans plus tôt, Perry l’avait rossé pour avoir épousé son ex-fiancée, Karen. Perry s’était alors fait virer de la police. Temporairement hors de cause, Perry est contacté par la veuve de l’avocat qui veut retrouver Matthew, le fils d’Alex séparé de sa famille depuis cinq ans. Celui-ci doit hériter de huit millions de dollars. Sauf que ce qui semblait se réduire à une simple recherche de personne disparue tourne vite au cauchemar aussi bien pour Perry que pour Matthew. Dans un milieu où ceux qui font de grosses affaires fraient souvent avec des individus peu recommandables, tout indique qu'on suit de près l’enquête de Perry dans le but de ne pas la voir aboutir.

Michael Koryta est un jeune auteur âgé aujourd'hui de seulement 26 ans. Ce qui est impressionnant car son style est plutôt bon et l'intrigue m'a fait penser aux romans policiers de Dan Simmons (Vengeance et Une balle dans la tête par exemple) même si certains préfèrent le comparer au célèbre Michael Connelly. L'auteur manie efficacement les ficelles du roman policier et utilise une structure parfaite de celui-ci, voire peut-être même un peu trop traditionnel à mon goût, surtout lorsqu'il traite de la psychologie du personnage principal.

laissant une traînée de sang dans la nuit noire et pluvieuse

Lincoln Perry est un vieux flic devenu détective suite à une mauvaise affaire passée. Alors que le lecteur fait sa rencontre, il paraît avoir raté sa vie amoureuse et sa vie professionnelle. Mais là où Koryta se différencie de beaucoup d'auteurs plus expérimentés que lui, c'est qu'il donne une seconde chance à son personnage. Le détective Perry n'est finalement pas si convenu que l'on pourrait penser. Il ne boit pas toute la journée, il n'est pas suicidaire et arrive à enterrer le passé. Et comme dans tout bon polar, notre héros se fait manipuler mais arrive toujours à trouver le moyen d'avancer dans son enquête malgré les incessantes visites de la police.

Un trou déchira le bureau dans une nuée d'échardes et son jumeau fleurit, rouge, au centre de l'estomac

Alors que tout semble aller contre Lincoln et que l'auteur pense l'avoir enfoncer le plus profondément possible dans les ennuis, ce dernier, avec sa jolie plume, donne un sens astucieux à toute l'histoire et s'amuse en nous dissimulant une petite leçon de morale ("Ma réalité s'était faussée."). De plus, il arrive à donner de la valeur au personnage de Lincoln Perry qui devient une sorte de héros pour son sens des valeurs et des priorités.

La neige [...] finit toujours pas fondre.

Et la justice par régner ? Alors que le début de l'histoire s'affiche comme un polar plutôt classique, la suite se révèle nettement meilleure et non dépourvue de suspense. On peut par contre regretter le manque de précision ou de façonnage dans les personnages secondaires. Avec un style intelligent et une intrigue assez bien travaillée, Koryta a tout pour devenir un grand écrivain de roman policier.

Note : 16/20

mardi 28 avril 2009

L'indic

Un petit billet pour vous présenter un magazine spécialisé dans le polar appelé L'indic et créé par l'association Fondu Au Noir. A ce jour, deux numéros sont déjà sortis. La mise en page est très soignée et bien travaillée. Le journal propose une large gamme d'activités et d'articles tous liés au polar. Des interviews, des chroniques, des nouvelles, des enquêtes et même des jeux sont proposés. Les sujets sont habilement traités et disposent d'une mine d'informations.


Une petite présentation du magazine en vidéo par les créateurs : Voir le lien.
Comment se procurer le magazine : Voir ce lien.

Prochain numéro : été 2009 !

lundi 27 avril 2009

Da Vinci Code

Da Vinci Code est un roman de Dan Brown. Peu emballé par la lecture de celui-ci, sûrement dû au battage médiatique, on m'a convaincu de le lire dans sa version illustrée. Choix original qui m'a apporté beaucoup pendant la lecture.

Présentation de l'éditeur :
Un éminent spécialiste de symbologie de Harvard est convoqué au Louvre pour examiner une série de pictogrammes en rapport avec l'œuvre de Vinci. En déchiffrant le code, il met au jour l'un des plus grands mystères de notre temps... et devient un homme traqué.

Tout l'intérêt du roman réside dans une chasse au trésor pouvant mettre en péril des siècles de croyance ; des codes, des messages cryptés, des énigmes ou encore divers indices dissimulés dans des objets d'art. L'avantage de cette édition, et son principal intérêt, est de présenter les différentes illustrations, lieux et objets que l'auteur mentionne tout au long de son histoire. Je ne vais pas m'attarder à vous présenter l'histoire car beaucoup d'entre vous ont déjà lu le roman ou vu le film qui en est tiré.

Le génie est toujours un hérétique en puissance.

Les dialogues plats, voire niais, tout au long de l'histoire sont la première chose qui m'a sauté aux yeux. L'auteur tente de faire de son roman un page-turner et voudrait prendre son lecteur en haleine notamment avec de grandes révélations choc : "une grande partie de ce que l'Eglise nous a enseigné [...] sur Jésus est tout simplement faux.". Mais il échoue (à mon goût) en utilisant une architecture très classique au niveau roman policier et un style très pauvre. Par contre, je ne nie pas que le fait d'avoir vu le film m'ait enlevé tout effet de surprise ...

Les aveugles sont ceux qui ne voient que ce qu'ils veulent bien voir.

Pour conclure, le roman semble être un prétexte pour l'auteur qui avait pour principal but d'énumérer bout à bout le fruit de ses nombreuses recherches. Et celles ci sont d'ailleurs très intéressantes il faut l'avouer, mais le récit est creux avec des personnages presque sans vie. Un bien bel ouvrage mais le style de Dan Brown n'est apparemment pas fait pour moi.

Note : 13/20

lundi 20 avril 2009

Monster

Monster est le second roman de Patrick Bauwen, déjà auteur de l'excellent L'œil de Caine.

Présentation de l'éditeur :
Je m'appelle Paul Becker. Je suis médecin.
Je vis dans une petite ville, en Floride.

J'ai une femme, un fils, un boulot que j'aime.
Une existence ordinaire.
Jusqu'au jour où je découvre un téléphone portable.
Un patient l'a perdu pendant une consultation.
Un homme étrange. Dangereux.
Soudain, ce téléphone sonne.
Et ma vie bascule.
Complots. Meurtres. Disparitions.
Toutes mes certitudes vont s'effondrer.
Pourquoi je vous raconte tout ça ?
C'est très simple...
Votre vie va basculer aussi.

Dès le début de l'aventure, l'auteur plonge son lecteur dans le roman et en fait un personnage à part entière ("tout va dépendre de vous"). Le personnage principal, Paul Becker, va nous confier ses joies, ses peurs et surtout ses secrets les plus enfouis. Avec ce pur thriller façon Harlan Coben (on pense surtout à Disparu à jamais mais aussi à Innocent du maître du suspense), on assiste à un véritable coup de maître qui vous prend dès le départ et qui ne vous lâchera plus.

Chacun invente ses petits trucs pour affronter les ténèbres, sinon c'est une part de vous-même qui meurt à chaque patient.

Patrick Bauwen utilise un style façon très "thriller à l'américaine". Ce qui n'est pas forcément péjoratif, et dans ce cas ça ne l'est pas. Il joue avec l'effet de surprise (voir par exemple dès le premier chapitre : "Eclair, nuit.") et donne une vision cinématographique de son histoire. De l'action, moult rebondissements, du stress, de la peur, d'incroyables révélations et une gamme complète d'émotions diverses. Chaque personne a un rôle bien défini et son lot de secrets avec. Paul Becker menait une belle vie ; un boulot qui rapporte, une femme et un fils qu'il aime, une nouvelle maison dans un quartier chic, des amis ... tout ce petit bonheur va malheureusement s'écrouler lorsqu'il décide de répondre sur un téléphone portable qui n'est pas le sien.

comment mon existence entière a pu basculer [...] parce que j'ai décroché le mauvais téléphone

C'est à partir de ce moment que Paul connaît une descente progressive en enfer. Des problèmes au boulot, des démêlés avec la justice, un homme le persécute, sa famille s'éloigne ... Plus on tourne les pages et plus la vie de notre héros semble peu à peu s'anéantir jusqu'à devenir un être sans vie, sans rien. Le docteur Becker a tout perdu et ne sait sur quoi se raccrocher ("Pas une seconde vous n'imaginez que ces petits moments sont le rempart qui vous protège du chaos."). Cette partie m'a rappelé L'analyste de John Katzenbach ; l'homme doit disparaître pour mieux réapparaître ("Le docteur Becker doit disparaître.") et tenter d'avancer dans l'ombre.

Quand j'ai fini par relever la tête, elle avait disparu.

Dans son roman, l'auteur se pose des questions sur le métier de médecin qui est à la fois excitant et affreux mais aussi, de manière plus générale, sur le monde qui ne semble plus tourner rond : "Fumer une cigarette est un pêcher mortel mais je peux commander des armes par la poste". Il affirme aussi que les vrais monstres ne sont pas les gens difformes mais bel et bien les détraqués sexuels et autres psychopathes ; on a d'ailleurs le droit à une référence à Michael Myers du film Halloween. Et d'autres références remplissent le roman comme on l'avait déjà remarqué dans L'œil de Caine ; de la musique au cinéma en passant par la littérature mais aussi par la télévision où il s'autorise quelques clins d'œil sur les émissions de télé-réalité ("J'adore ces émissions débiles.") et plus spécifiquement sur l'une d'entre elles ... mais ça je vous laisse le découvrir.

Un mal qui se rapproche de moi.

Pour résumer, le lecteur a affaire à un roman au style très américain où l'intrigue se déroule d'ailleurs en Floride. Le récit souffre peut-être d'un excès de rebondissements et de révélations tonitruantes mais au final il s'agit d'un véritable page-turner terriblement efficace dans la veine de son premier roman. Entre parenthèses, j'ai apprécié les sympathiques remarques sur le comportement français comparé à celui des américains. Un thriller choc donc à ne pas louper !

Vous êtes simplement un authentique, un véritable ... monstre.

Note : 17/20

jeudi 16 avril 2009

Le Dé d'Atanas

Le Dé d'Atanas est un roman d'Hervé Picart. Ce roman est le premier tome de l'Arcamonde et donc celui précédant L'Orgue de Quinte déjà chroniqué sur ce blog.

Présentation de l'éditeur :
Au cœur de la vieille ville de Bruges, une boutique au charme désuet et au nom troublant : L'Arcamonde. C'est le domaine de Frans Bogaert, gentleman distingué et cultivé qui se livre avec autant de flegme que de passion à ses activités d'antiquaire. Avec son assistante, étonnante réplique de Lauren Bacall, et à l'aide des instruments sophistiqués que recèle son atelier, Bogaert se livre à des expertises d'objets hors du commun. Quand une mystérieuse dame d'Utrecht au charme slave ouvre la porte de L'Arcamonde un soir de neige, Bogaert ignore que le dé ancien qu'elle tient en main va le plonger dans une enquête qui le mènera sur la piste des dieux de la Lituanie médiévale et de leurs rites les plus ténébreux...

Dans ce roman, nous retrouvons notre antiquaire féru des mystères les plus inimaginables dans sa petite boutique comparable à une sorte de coffre aux trésors historiques. Retrouver n'est pas vraiment le terme à employer puisqu'il s'agit du premier roman de la série, mais le second que j'ai lu. Preuve qu'il est tout à fait possible d'explorer cette série dans le désordre pour le moment, contrairement à la série des Harry Bosch de Michael Connelly dont il est vivement conseillé de suivre dans le bon ordre. L'auteur présente l'Arcamonde, boutique d'antiquités tenu par Frans Bogaert et l'énigmatique Lauren, souvent comparée à l'actrice Lauren Bacall ("fantôme de Lauren Bacall"). Bien qu'elle soit secrète et placée en second plan, la jeune collaboratrice n'en reste pas moins un personnage important. Elle apporte au roman, à l'ambiance en général, un souffle de fraicheur dans cet univers quelque peu décalé dans le temps : "Finies les salles d'archives", "assistante hollywoodienne".

Derrière le mystère de chaque objet se cache l'histoire de son créateur

L'énigme principale débute lorsque Madame Van Ostade (homonyme du peintre hollandais Adriaen van Ostade) pousse la porte de l'Arcamonde pour présenter son mystérieux dé ayant appartenu à son grand-père prénommé Atanas. L'étrange dame d'Utrecht semble être une manipulatrice au teint fantomatique. Suite aux différentes descriptions du personnage, le lecteur a l'impression d'être face à un spectre : "visage fantomatique", "peau [...] pâle", "cheveux [...] presque blancs", "teint d'outre-tombe", "joli spectre", "pas très sentimentale". Même la référence "Venise morte" se fait en sa présence, tout semble donc indiquer qu'une malédiction tourne autour d'elle. Frans se laisse "bercer" par ses paroles enchanteresses et accepte donc de renouveler un nouveau défi ; découvrir d'où provient ce fameux dé et quel est son terrible secret.

Et la voilà repartie, toute auréolée de mystère et de parfum de chèvrefeuille.

Le "Sherlock Holmes" brugeois s'embarque dans une enquête qui l'amène à découvrir de vieux secrets enfouis depuis plusieurs siècles. A base de mythologie lituanienne, l'investigation devient de plus en plus inquiétante, voire périlleuse pour les principaux protagonistes.

Un homme qui gardait une caisse à couleuvre dans sa cuisine devait en effet avoir le cerveau un peu lézardé.

J'ai lu Le dé d'Atanas quasiment d'une traite et j'ai été entièrement conquis par ce drôle de personnage qui semble s'attirer les énigmes les plus étranges et les plus difficiles à résoudre, et ce, à partir d'un petit objet plutôt banal. L'auteur ne nous implique pas directement lorsque la frontière du fantastique est atteinte et nous laisse donc dans le flou afin que notre imagination décide de la vérité. Alors, réel ou surnaturel ? A vous de trancher ...

Note : 14/20

La Métamorphose

La Métamorphose est une nouvelle de Franz Kafka. Sur ce billet, je vous présente son adaptation sous forme de bande dessinée par Corbeyran et Horne.

Présentation de l'éditeur :
Comme chaque matin, Gregor, employé modèle qui ne vit que pour assurer une existence décente à sa famille, s’apprête à aller au travail. Mais à son réveil, il aperçoit son corps doté d’une lugubre carapace de coléoptère. Gregor croit d’abord à un mauvais rêve. Pourtant la métamorphose est bien réelle. Il ne quittera plus cet aspect, éprouvera de la culpabilité, constatera – en observateur silencieux – le désespoir de sa famille, vivotera sa vie d’insecte tout aussi inoffensif qu’innocent, pour finir écrasé comme de la vulgaire vermine.

La bande dessinée dénote une forte présence de noir. L'avantage de ce support est de faciliter la mise en place de l'atmosphère, ici très sombre. Dans ce huis clos à la frontière du surnaturel, l'auteur crée une situation (appelée dorénavant kafkaïenne) où l'on peut s'étonner de la différence et du changement de comportement de chacun face au contexte. En effet, le personnage est transformé en cafard et ce, depuis le début de l'histoire. Le but n'est pas d'expliquer la métamorphose de Gregor mais d'assister aux agissements des autres protagonistes.

Un matin, émergeant d'un rêve agité, Gregor Samsa s'éveilla dans son lit transformé en un énorme cafard.

La transformation se fait petit à petit ; d'abord physiquement, puis au niveau de l'alimentation et se poursuit sur la capacité de monter aux murs et pour finalement perdre définitivement la parole. Le fait de s'être métamorphosé en insecte cause un problème de communication entre Gregor et le reste de sa famille. Il finit par ne connaître aucune vie sociale et familiale. Son père est violent mais triste au fond. Sa mère n'arrive plus à trouver la force de le regarder. Seule sa sœur semble compatissante mais prend vite le parti du père au final. Celle-ci connaît d'ailleurs un changement conséquent au niveau de sa place dans la famille. En effet, considérée comme rien au début, elle devient ensuite la fierté de la famille. La fin est triste et heureuse à la fois car tout en ayant perdu un fils ou un frère, les divers problèmes ont tous été résolus. On assiste à une sorte de bonheur délivré par un cafardeux malheur. D'ailleurs l'atmosphère semble prendre des couleurs, l'univers passe du noir de l'intérieur de la demeure au jaune clinquant du soleil et la robe grisâtre de la sœur devient rouge vif.

Plus que la description d'une simple et étrange situation, Kafka s'attaque à la violence des relations entre un père et son fils, ce qu'il a apparemment vécu. Mais aussi, il dénonce les violents comportements qu'ont les gens face aux personnes différentes d'eux. On peut pousser la réflexion encore plus loin en s'attardant sur la question de l'esclavagisme moderne, pointé du doigt dès le début de l'histoire, et de la discrimination sexuelle ("leur fille qu'ils considéraient jusqu'ici comme une bouche inutile"). Au delà de tout ça, il s'agit d'une vision sombre du comportement humain en général.

Note : 15/20

lundi 13 avril 2009

Mother Funker

Mother Funker est un roman de Velibor Colic, auteur originaire de Bosnie. Cet ouvrage fait partie de ma sélection pour le défi littéraire des cinq continents ; catégorie Europe.

Présentation de l'éditeur :
Hubert Selbie, tueur à gages d'origine américaine, est sous contrat pour éliminer des criminels de guerre : un mafieux russe ancien d'Afghanistan à Budapest, un général " poète " à Sarajevo, un ancien collabo à Paris et un ex-colonel SS à Vienne. Mother Funker est L'histoire de ces missions, mais aussi de l'amour qui lie Selbie à Jeanne Duval, la prostituée montmartroise. L'auteur remarqué des Bosniaques signe un roman noir hors de toute référence, qui se déploie comme une ballade de jazz sombre et mélancolique, accompagnée " d'un solo particulièrement sauvage de Charlie Bird Parker, qui se fiche tel un couteau dans Le dos de la nuit ".

Mother Funker est un cocktail détonnant d'alcool, de jazz et de peinture ... sans oublier d'y placer un zeste de délire sanglant. Mais ce roman noir ne peut se résumer uniquement qu'à ces thèmes. L'auteur va bien plus loin puisqu'on y ressent une sorte de nostalgie et même de peur du passé (notamment avec la première guerre d'Afghanistan, la guerre en ex-Yougoslavie et la seconde guerre mondiale). En cherchant un peu du côté de la biographie de l'auteur, on s'aperçoit qu'il a été très affecté par la guerre de Bosnie-Herzégovine puisque son village a été détruit et ses manuscrits réduits en cendres.

La nuit baignait les toits de la ville de sa camomille chaude.

Ce "polar-jazz" présenté sous forme de quatre saisons met en place le personnage d'Hubert Selbie. Alcoolique et grand amateur de musique, cet anti-héros navigue entre son amour, la prostituée Jeanne Duval (homonyme complet de la muse du poète Baudelaire), et son travail, tueur à gage. Ce dernier l'amène à voyager, et nous avec du coup, de Paris à Budapest en passant par Vienne et Sarajevo dans le but d'assassiner d'anciens criminels de guerre. Étrangement, les scènes les plus sombres et les plus dures, ne sont pas les meurtres qu'il commet mais les passages tristes de sa vie quotidienne.

L'Europe est une vieille pute toujours en feu à son pourtour

Dans une ambiance soûlée, la peinture grisâtre de la vie de Selbie se dessine à l'aide de coups de pinceaux donnés sur un rythme swinguant. Alliant jazz et littérature, Velibor Colic me fait un peu penser à Boris Vian qu'il honore en le référençant dans son ouvrage. Et des références il y en a. Autant du côté musique avec : Duke Ellington, Leonard Cohen, Nick Cave, Gainsbourg, Coleman Hawkins, Memphis Slim, Dixieland, Chuck Berry, Creedence Clearwater Revival, Charlie Bird Parker, Coltrane, Dylan ... que du côté peinture avec des artistes tels que : Modigliani, Klimt, Rembrandt, Picasso ... Mais le plus impressionnant, outre la quantité de noms d'alcool cités, est la place de la littérature dans son roman. Hubert Selbie fait la rencontre d'un caissier qui est écrivain dans ses heures perdues. Il parcoure des librairies, lit un tas de romans dans le train ou chez lui. L'auteur en rajoute une couche en citant une quantité de romanciers aux styles divers : Hemingway, Kafka, Boulgakov (référence à la dictature russe), Buzzati, Salinger, Calvino, Céline ... et se permet même une énigme avec cette jolie description : "cet ivrogne de français".

La nuit tombée la retrouva errant sur le velours glacé d'un des premiers jours de l'hiver, enveloppée des sombres voiles d'une tristesse incommensurable.

Au delà du simple polar, Mother Funker paraît panser les nombreuses blessures passées de Velibor Colic. Avec des rations démesurées d'alcool pour tenter de voir la vie différemment et de nombreuses doses de mélodies jazzy afin de donner du rythme au récit ainsi que pour créer la douce et lugubre atmosphère régnante, l'auteur fait le procès de l'histoire de l'Europe. Le tout donne un climat mélancolique dans un décor sombre et parfois même à la limite du répugnant.

Note : 14/20

dimanche 5 avril 2009

Anaisthêsia

Anaisthêsia est le nouveau roman d'Antoine Chainas, déjà auteur de l'excellent Versus et Aime-moi, Casanova.

Présentation de l'éditeur :
Premier flic noir à intégrer un groupe d'investigations après les émeutes interraciales de l'année passée, Désiré Saint-Pierre est aussi dealer à ses heures, dans son quartier, ghetto Sud de la ville Blanche. Mais un accident tout bête vient bouleverser cette belle ordonnance. Une voiture avec Désiré dedans. Un mur. La rencontre des deux. Le policier se réveille d'un long coma, défiguré, atteint d'un syndrome d'indifférence massive à la douleur. Lorsqu'il reprend du service, l'enquête très médiatique de La Tueuse aux Bagues, à laquelle il était affecté avant l'hospitalisation, s'emballe et le kilogramme de cocaïne hydrochlorique dont il avait la charge a disparu. Tandis que la maladie, lentement, gagne du terrain, Désiré va suivre la voie d'Ogun Badagris, le Dieu de la guerre et de la discorde qui régnait sur l'île qu'il n'aurait jamais dû quitter...

Dans la lignée de son précédent roman, Versus, l'auteur continue à dénoncer les tabous de notre société actuelle et ce, sans mâcher ses mots. Plus que sur une enquête policière, l'intrigue du roman se repose surtout sur les maux de la société. Ici le racisme et la maladie sont les premiers visés. Le personnage principal, Désiré Saint-Pierre, est un policier noir vivant dans un quartier difficile et qui vient à peine de sortir du coma. Atteint d'une maladie très particulière, il devient un cas neurologique exceptionnel puisqu'il ne ressent plus la moindre douleur. Difficile de se faire respecter dans la police lorsque l'on est noir ... et difficile aussi d'habiter un quartier dangereux lorsque l'on est flic. La double vie de Désiré devient encore plus compliquée depuis que la drogue du dealer Marcus a disparu de sa voiture après son mystérieux accident ... mais aussi depuis qu'il est le seul à pouvoir approcher la très recherchée Tueuse aux Bagues.

Sa vision du monde semble en outre elle-même affectée par cette extension du mal.

Dès le premier chapitre l'auteur nous plonge dans l'histoire avec une précision digne du légendaire Necropolis d'Herbert Lieberman. Puis dès le second chapitre, il réussit à instaurer une tension qui tiendra tout au long du roman. La pression monte petit à petit. La peur et la haine s'installent. L'homme de couleur noire est comparé à un chien ("propre, qui ferait où on lui dit de faire" ; "ils font le beau quand on leur tend le sucre") et Désiré se voit même attribuer le titre de mort-vivant ("Un regard qui n'appartient pas au monde des vivants."). Il devient un monstre pour tous, un homme sans vie et sans sentiment.

que la douleur est avant tout liée à la culture et qu'elle varie chez l'individu selon sa représentation même

Antoine Chainas va encore plus loin en comparant l'Homme en général à un numéro ou un ensemble de numéros ("J'étais sur le point de devenir [...] un numéro de dossier."), malgré ce que peut prétendre un célèbre prisonnier. Le fond du récit se rapproche du discours nihiliste de Chuck Palahniuk, notamment dans Fight Club où le héros est sensé devenir une sorte de nouvel homme ("homo novo") prêt à participer au chaos et à supprimer toute trace référençant les êtres humains, mais la forme, elle, est comparable à Ken Bruen avec ces nombreuses phrases courtes et ces mots listés les uns après les autres afin de donner une sorte de vitalité, de force, au roman.

Jusqu'à ce que le sang coule par terre.

Un autre fait marquant tout au long du roman est que chaque moment de douceur ou de bonheur est interrompu par un instant, ou pressentiment, de malheur. "A moins que brusquement, je ne devienne célèbre. [...] Mais pour l'instant, je ne suis personne." : c'est à cela que l'on reconnaît un roman noir. Tout est blanc ou tout est noir ("Saintes ou putes."). Tout rêve devient cauchemar. L'homme ne choisit plus qu'entre le pour et le contre, le 0 et le 1. L'auteur décrit une société manichéenne, il y a ceux qui ont des sentiments et ceux qui en sont totalement dépourvus.

Une douleur qui veut me hurler que j'existe.

Anaisthêsia est un roman noir choc qui décrit les échecs d'une société endormie. Avec de nombreuses répétitions ("Moi, l'illétré [...] Moi, le salaud par nature [...] Moi, le rien du tout [...] Moi, l'alibi [...]"), des phrases courtes et une quantité de termes s'opposant, l'auteur semble faire de son roman une poésie. Assoupi derrière cette tonalité à la fois réaliste et légèrement lyrique, le lecteur doit faire face à un ouvrage aux multiples et frétillantes intrigues. A peine sortie en librairie, Aniasthêsia est déjà pour moi une référence du genre.

Note : 18/20