dimanche 5 avril 2009

Anaisthêsia

Anaisthêsia est le nouveau roman d'Antoine Chainas, déjà auteur de l'excellent Versus et Aime-moi, Casanova.

Présentation de l'éditeur :
Premier flic noir à intégrer un groupe d'investigations après les émeutes interraciales de l'année passée, Désiré Saint-Pierre est aussi dealer à ses heures, dans son quartier, ghetto Sud de la ville Blanche. Mais un accident tout bête vient bouleverser cette belle ordonnance. Une voiture avec Désiré dedans. Un mur. La rencontre des deux. Le policier se réveille d'un long coma, défiguré, atteint d'un syndrome d'indifférence massive à la douleur. Lorsqu'il reprend du service, l'enquête très médiatique de La Tueuse aux Bagues, à laquelle il était affecté avant l'hospitalisation, s'emballe et le kilogramme de cocaïne hydrochlorique dont il avait la charge a disparu. Tandis que la maladie, lentement, gagne du terrain, Désiré va suivre la voie d'Ogun Badagris, le Dieu de la guerre et de la discorde qui régnait sur l'île qu'il n'aurait jamais dû quitter...

Dans la lignée de son précédent roman, Versus, l'auteur continue à dénoncer les tabous de notre société actuelle et ce, sans mâcher ses mots. Plus que sur une enquête policière, l'intrigue du roman se repose surtout sur les maux de la société. Ici le racisme et la maladie sont les premiers visés. Le personnage principal, Désiré Saint-Pierre, est un policier noir vivant dans un quartier difficile et qui vient à peine de sortir du coma. Atteint d'une maladie très particulière, il devient un cas neurologique exceptionnel puisqu'il ne ressent plus la moindre douleur. Difficile de se faire respecter dans la police lorsque l'on est noir ... et difficile aussi d'habiter un quartier dangereux lorsque l'on est flic. La double vie de Désiré devient encore plus compliquée depuis que la drogue du dealer Marcus a disparu de sa voiture après son mystérieux accident ... mais aussi depuis qu'il est le seul à pouvoir approcher la très recherchée Tueuse aux Bagues.

Sa vision du monde semble en outre elle-même affectée par cette extension du mal.

Dès le premier chapitre l'auteur nous plonge dans l'histoire avec une précision digne du légendaire Necropolis d'Herbert Lieberman. Puis dès le second chapitre, il réussit à instaurer une tension qui tiendra tout au long du roman. La pression monte petit à petit. La peur et la haine s'installent. L'homme de couleur noire est comparé à un chien ("propre, qui ferait où on lui dit de faire" ; "ils font le beau quand on leur tend le sucre") et Désiré se voit même attribuer le titre de mort-vivant ("Un regard qui n'appartient pas au monde des vivants."). Il devient un monstre pour tous, un homme sans vie et sans sentiment.

que la douleur est avant tout liée à la culture et qu'elle varie chez l'individu selon sa représentation même

Antoine Chainas va encore plus loin en comparant l'Homme en général à un numéro ou un ensemble de numéros ("J'étais sur le point de devenir [...] un numéro de dossier."), malgré ce que peut prétendre un célèbre prisonnier. Le fond du récit se rapproche du discours nihiliste de Chuck Palahniuk, notamment dans Fight Club où le héros est sensé devenir une sorte de nouvel homme ("homo novo") prêt à participer au chaos et à supprimer toute trace référençant les êtres humains, mais la forme, elle, est comparable à Ken Bruen avec ces nombreuses phrases courtes et ces mots listés les uns après les autres afin de donner une sorte de vitalité, de force, au roman.

Jusqu'à ce que le sang coule par terre.

Un autre fait marquant tout au long du roman est que chaque moment de douceur ou de bonheur est interrompu par un instant, ou pressentiment, de malheur. "A moins que brusquement, je ne devienne célèbre. [...] Mais pour l'instant, je ne suis personne." : c'est à cela que l'on reconnaît un roman noir. Tout est blanc ou tout est noir ("Saintes ou putes."). Tout rêve devient cauchemar. L'homme ne choisit plus qu'entre le pour et le contre, le 0 et le 1. L'auteur décrit une société manichéenne, il y a ceux qui ont des sentiments et ceux qui en sont totalement dépourvus.

Une douleur qui veut me hurler que j'existe.

Anaisthêsia est un roman noir choc qui décrit les échecs d'une société endormie. Avec de nombreuses répétitions ("Moi, l'illétré [...] Moi, le salaud par nature [...] Moi, le rien du tout [...] Moi, l'alibi [...]"), des phrases courtes et une quantité de termes s'opposant, l'auteur semble faire de son roman une poésie. Assoupi derrière cette tonalité à la fois réaliste et légèrement lyrique, le lecteur doit faire face à un ouvrage aux multiples et frétillantes intrigues. A peine sortie en librairie, Aniasthêsia est déjà pour moi une référence du genre.

Note : 18/20

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