jeudi 28 mai 2009

Le Déjeuner du coroner

Le déjeuner du coroner est un roman de Colin Cotterill. Cet ouvrage fait partie de ma sélection pour le défi littéraire des cinq continents ; catégorie Océanie.

Présentation de l'éditeur :
Laos, 1976. Les communistes du Pathet s’emparent du pouvoir et l’intelligentsia fuit le pays. Siri Paiboun, un médecin qui a fait ses études à Paris, décide de rester. À 72 ans, et bien qu’il n’ait jamais pratiqué d’autopsie, il est nommé coroner.
Quand la femme d’un ponte du Parti meurt en plein banquet et que les cadavres de trois soldats vietnamiens sont retrouvés flottant sur les eaux d’un lac laotien, tous les regards se tournent vers lui.
Déterminé à résoudre ces crimes en dépit des tentatives d’intimidation, Siri mène l’enquête, recrutant au passage quelques vieux amis, mais aussi les shamans hmongs, les esprits des forêts, et même ceux des morts qui le visitent en songe...
Première des aventures du Dr Siri, vieux sage excentrique revenu de tout – un peu Maigret sauce saté, un peu juge Ti –, Le Déjeuner du coroner comblera les fans d’Alexandre McCall Smith et tous les amateurs de polars originaux, brillants et pleins d’humour.

L'auteur a beaucoup voyagé et a enseigné dans plusieurs pays tels que l'Australie, les Etats-Unis, le Japon, la Thaïlande et le Laos. Et c'est dans ce dernier pays que se déroule l'histoire du déjeuner du coroner. Siri est un médecin devenu malgré lui coroner ; le seul coroner du pays d'ailleurs. Alors qu'il n'est pas formé pour ce métier et qu'il rame pour réaliser ses autopsies, le juge Haeng s'ajoute à toutes ses difficultés en tant qu'obstacle. En effet, il ne le laisse pas conclure ses examens et préfère éviter tout résultat néfaste au nouveau parti dirigeant. Mais le vieux médecin n'a pas dit son dernier mot et lorsque de nouveaux cadavres apparaissent, il sent que quelque chose de terrible se trame sur le territoire laotien.

Quand vous commencerez à oublier où est votre bouche et à baver, qu'il vous faudra des couches, alors l'État vous témoignera sa gratitude...

Outre les innombrables critiques sur le gouvernement communiste de l'époque, l'auteur parfume son roman d'humour et de fantastique. Ce mélange de plaisanterie, notamment avec le personnage principal assez loufoque et aux répliques tonitruantes, et de surnaturel traduit parfaitement la culture laotienne et l'état d'esprit au lendemain d'une révolution qui a provoqué un changement radical dans la vie des habitants.

Le toubib du camp était un gamin de vingt ans, formé comme infirmier de terrain sur de simples mannequins.

La présence légère de fantastique (esprits des forêts, fantômes ...) sert malheureusement à résoudre l'énigme du roman. J'écris "malheureusement" car il s'agît, pour moi, d'un outil qui permet parfois de démêler trop facilement une intrigue. L'utilisation de surnaturel peut toutefois être excusée ici puisque cela fait intégralement partie des coutumes asiatiques. Au final, il ressort surtout du roman des personnages sympathiques à la fois heureux et tristes suite au nouveau régime politique. Le héros n'en a pas tout à fait l'allure (il s'écrasait souvent devant sa femme par exemple) et ne souhaite qu'une chose : finir sa vie tranquillement dans un établissement pour retraités. Ses assistants et amis, Dtui l'infirmière et Mr Geung un trisomique à la mémoire étonnante, tiennent lieu de stéréotypes puisqu'ils permettent à l'auteur de dénoncer la place de la femme dans la société et la façon dont sont vus les handicapés au Laos à cette période ; des critiques qui pourraient parfois être poussées au monde entier.

Le socialisme est un grand cosmos, mais la confiance est l'atmosphère qui rend les étoiles solidaires.

Avec ce roman, Colin Cotterill nous propose un récit mélangeant politique, histoire, énigme policière et croyances locales. Plus qu'un simple roman policier, cette œuvre est un condensé de culture laotienne et des états d'âmes d'un peuple qui ne cesse de souffrir. Heureusement que l'humour omniprésente apaise l'ambiance tendue entre chaque type de personnage.

Fiche d'identité du roman :
  • Auteur : Colin Cotterill
  • Titre : Le déjeuner du coroner
  • Éditeur : Le livre de poche
  • Nombre de pages : 314
  • ISBN : 978-2-253-12338-5
Note : 14/20

lundi 25 mai 2009

Delirium Tremens

Delirium Tremens est un roman de Ken Bruen mettant en scène Jack Taylor, un personnage récurrent chez l'auteur.

Présentation de l'éditeur :
Jack Taylor, ancien flic viré pour alcoolisme sévère, traîne sa misère et son mal de vivre dans les pubs des quartiers populaires de Galway. Entre deux rasades de Jameson et une gorgée de Guinness, il laisse vaguement entendre aux poivrots de son entourage qu'il pourrait être un bon détective privé. À sa grande surprise, une femme vient un jour le trouver à son comptoir préféré pour le supplier d'enquêter sur la mort de sa fille qui se serait, soi-disant, suicidée. Avec l'aide de son copain Sutton, peintre à moitié raté et grand amateur de spiritueux, et de Catherine, jeune punk à la langue bien pendue, Jack se lance dans un enquête qui le conduira bientôt jusqu'aux bas-fonds de Galway. Entre deux crises de delirium tremens, Jack Taylor ressemble à un équilibriste sur le fil du rasoir. Attention, le précipice n'est jamais loin...

Delirium Tremens est un véritable délire imbibé d'alcool et d'humour noir. Sorte de puzzle constitué de chapitres très courts et de morceaux de textes tirés d'autres romans, l'ouvrage étonne avec un récit déjanté et une indentation toujours aussi particulière; sa signature en quelque sorte. Le style est incisif et va droit au but tel un coup de poing balancé en pleine tronche. L'auteur nous baigne tout au long de l'histoire dans une atmosphère électrique et saccadée.

Ce sont les détails obscènes que je veux effacer avec chaque verre.

Jack Taylor est un ancien flic. Il a un gros problème, il est alcoolique et tout le monde le sait. Mais un jour, une femme vient le trouver dans son bar pour lui proposer une enquête ; découvrir ce qui est arrivé à sa fille. Suicide ou meurtre ? Jack s'embarque alors dans une quête qui semble impossible ... non pas son travail mais l'arrêt définitif d'alcool. Et c'est lorsque son monde commence à devenir un peu moins flou qu'arrivent les pires ennuis ...

- On est bien partis.
- Oui, mais pour aller où ?
- En enfer, je dirais.
- Au moins, je connais.

Avec ses répliques à hurler de rire, le roman est pris entre deux eaux. A la fois drôle et triste, l'histoire ne s'attarde pas tellement sur Jack Taylor mais arrive à le rendre très attachant. Avec un roman choc aux phrases brutales, Ken Bruen s'impose comme un des maîtres du polar de "mauvais goût" ; aucune finesse mais finalement beaucoup de tendresse pour le personnage central dont le comportement l'apparente à une sorte d'anti-héros moderne. Un très bon roman donc, je vous le conseille. Pour finir, une petite citation référencée dans le roman afin de résumer le ton de l'histoire :
"La violence nécessite un style froid et mortel."
Oscar Wilde.

Note : 17/20

lundi 18 mai 2009

Plateforme

Plateforme est un roman de Michel Houellebecq.

Présentation de l'éditeur :
«Dès qu'ils ont quelques jours de liberté les habitants d'Europe occidentale se précipitent à l'autre bout du monde, ils traversent la moitié du monde en avion, ils se comportent littéralement comme des évadés de prison. Je ne les en blâme pas ; je me prépare à agir de la même manière.»
Après la mort de son père, Michel, fonctionnaire de quarante ans blasé, décide de partir en Thaïlande pour goûter aux plaisirs exotiques. Il y rencontre Valérie, cadre dans une grande société de voyages, à qui il soufflera sa théorie sur les vraies motivations des Européens en quête de sensations fortes. Embarqué dans la lutte pour le profit à tout prix, où le corps est plus que jamais une marchandise, Michel jette un regard cynique sur la société occidentale. Mais dans la violence crue de ses constats, il sera peut-être surpris de découvrir que l'être humain est encore capable de sentiments...

Le roman nous invite à partager quelques mois de la vie de Michel, personnage principal dont le prénom, vous l'aurez remarqué, indique qu'il pourrait très bien s'agir de l'auteur. Être humain totalement névrosé ("moins égocentrique et névrosé que moi-même"), il a une pâle opinion de lui-même ("je me considérai avec dégoût : [...] je ressemblais au total exactement à ce que j'étais"). D'ailleurs, dès le début de l'histoire, l'auteur rédige un jugement sur sa vie ; il justifie ses choix, comme le fait de vivre seul par exemple ("j'avais cependant échoué à me faire de véritables amis"). Ceci n'est pas sans rappeler les traits de caractère du personnage de son premier roman : Extension du domaine de la lutte. Ses ouvrages semblent donc se suivre et permettent à l'écrivain d'explorer d'autres univers qui, au final, paraissent tous se ressembler. Là où le personnage de Plateforme est différent, c'est qu'il subit une sorte d'évolution. Lorsque son voyage débute, il est totalement associable, il n'arrive pas à sortir une phrase correcte lorsqu'il est en présence d'un étranger et se replie instinctivement sur lui-même ("Vous n'aimez pas vraiment la vie de groupe ?"). Il manque aussi totalement de confiance en lui ("C'est dans le rapport à autrui qu'on prend conscience de soi ; c'est bien ce qui rend le rapport à autrui insupportable."). Autre trait de caractère, il semble dépourvu de tout sentiment ("je ne ressens aucune émotion particulière") jusqu'à sa rencontre avec Valérie en Thaïlande qui va bouleverser sa vie. Il devient alors un être doté d'émotions, un nouveau-né découvrant la vie, le bonheur et surtout l'amour ("C'est alors que je pris conscience [...] que nous allions probablement être heureux."). Son changement de personnalité s'opère assez rapidement et est vivement remarqué par les autres ("Tu as changé [...] tu as l'air heureux."). Son bonheur s'accroît de jour en jour ("je traversais un univers de désirs légers et de moments illimités de plaisir"). Au final, Michel est un personnage en avance sur son temps. Sans tabou ni religion, il paraît hors de notre espace-temps ("il devenait de plus en plus clair que je ne comprenais pas grand-chose au monde moderne") mais l'auteur le ramène à la raison en lui permettant de découvrir des sentiments humains. L'amour le rend éligible à vivre dans notre société, mais à quel prix ?

Ce n'est pas moi qui suis bizarre, c'est le monde autour de moi.

Comme dans son précédent roman, Houellebecq utilise un récit provoquant, limite choquant. Le fait que le texte soit à la première personne nous indique t-il que l'auteur souhaite nous révéler ses propres secrets et fantasmes ? Quoiqu'il en soit, le fond a beau être dérangeant, la forme n'en est pas moins exceptionnelle, son style est incomparable et ses phrases glissent d'elles-mêmes sur nos lèvres. Dans cet ouvrage sur le thème du tourisme, ou plus exactement sur le tourisme sexuel et non infantile, Houellebecq réalise une analyse complète du comportement des occidentaux face aux valeurs de la vie. En plus, le romancier a ce don de rendre les scènes parfaitement réalistes mais aussi, parfois, légèrement exagérées (certaines flirtent avec le ridicule) ce qui fait ressortir du récit une note d'humour grinçant. En résumé, Houellebecq est un provocateur intelligent qui parsème son texte de questions simples mais existentielles. Le monde est-il prêt à subir une révolution sexuelle ? Est-il tout simplement préparé aux changements ? Se laissera t-il faire face à l'apparition d'un concept novateur créé par un homme qui ne se sent pas appartenir à la société actuelle ?

Européen aisé, je pouvais acquérir à moindre prix, dans d'autres pays, de la nourriture, des services et des femmes ; Européen décadent, conscient de ma mort prochaine, et ayant pleinement accédé à l'égoïsme, je ne voyais aucune raison de m'en priver.

Durant toute l'histoire, le personnage s'interroge sur beaucoup de thèmes et critique chacun d'entre eux. Le premier visé est le tourisme actuel en général. Les destinations de rêves peuvent être de faux-semblants, tout n'est pas si paradisiaque, ce n'est pas le jardin d'éden ("Elle n'était pas Ève, cela dit. Et moi, Adam, pas davantage."). Il critique aussi beaucoup les clubs de vacances et étend son domaine de la lutte du profit au sens large vers tous les styles de tourisme existant. D'autres sujets sont décortiqués et attaqués, comme par exemple le journalisme dit inutile (comprendre magazines people et compagnie) : "Peut-être que les journalistes parlent de ce qui les intéresse, pas de ce qui intéresse les lectrices.", ou encore, la politique qui est montré du doigt avec quelques vannes bien placées : "Il paraissait peu vraisemblable, de toute façon, que les Français votent à nouveau pour Jacques Chirac : il avait vraiment l'air trop con, ça en devenait une atteinte à l'image du pays.". De manière générale, c'est le capitalisme qui est jugé par Michel et donc par l'écrivain : la course de la meilleure performance pour les entreprises se fait ici aux détriments de quelques employés et de vies humaines. Au fil de l'histoire, il continue à dénoncer et à s'attaquer à des sujets de plus en plus sensibles. Après le sexe sous plusieurs de ses formes, la religion est visée. Il ne mâche pas ses mots et ce n'est vraiment pas étonnant qu'il ait suscité de nombreuses réactions. Houellebecq dénonce le mal de toute une civilisation et tente de l'expliquer, voire même parfois de proposer des solutions à travers ses différents personnages. L'auteur montre, explique et s'amuse à décrire les différents comportements de chacun d'entre eux face à des situations peu habituelles. Pour résumer, il réduit la société actuelle en une société totalement amorale et superficielle dominée par le sexe et l'appât du gain.

les Occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble ; c'est peut-être lié au narcissisme, au sentiment d'individualité, au culte de la performance

Note : 17/20

mardi 12 mai 2009

Cadavre d'état

Cadavre d'état est un roman de Claude Marker à paraître le 15 Mai aux éditions Carnets Nord.

Présentation de l'éditeur :
Comment le cadavre d’un conseiller du Premier ministre est-il arrivé, par une nuit pluvieuse de novembre, sur le parking miteux d’une grande surface, dans la région parisienne ? L’enquête est confiée au commissaire Coralie Le Gall. Fille d’un haut fonctionnaire, musicienne et pratiquant le close-combat, cette personnalité hors-normes est bien décidée à prendre sa revanche contre un monde politique qu’elle déteste. Mais Coralie va peu à peu comprendre l’ampleur de la manipulation en cours. Un roman noir dans la France des années 1990. Une intrigue palpitante et truffée d’énigmes, qui déniaise à jamais d’une certaine politique.

Cadavre d'état est un roman policier et politique qui se déroule dans les années 90. D'ailleurs on est bien surpris de retrouver de vieux objets (ou mots) qui nous sont complètement sortis de la tête : "disquette", "cassette", "francs". Le récit est narré à la première personne et le lecteur peut se mettre dans la peau de la très charismatique Coralie Le Gall, femme flic au langage parfois farfelu. Fille d'un haut fonctionnaire, elle se décide à ne pas suivre la voie de son père et préfère faire régner la justice.

Être mort, et faire semblant de vivre.
Un rôle comme un autre.

Le personnage principal est doté d'un humour très particulier et s'amuse avec les mots en remplaçant des anglicismes par des pseudo correspondances françaises : "djîne", "clîne", "tolkie", ou encore en inventant des termes assez loufoques : "loqdus", "Keskimank", "politichiens". Ceci rend le personnage plus drôle, voire plus humain, et crée un contraste certain entre elle et le roman qui s'annonce pourtant très noir. Coralie ne semble pas coller à l'histoire mais elle n'est pas la seule personne qui arbore ce type de masque. En effet, certains politiciens sont maladroits et quelque peu lourdingues ...

Nous sommes au plus haut sommet de l'État. Aucune vie n'a d'importance. Aucune.

Mise à part cette touche d'humour qui rend le récit assez agréable, l'histoire se concentre principalement dans le domaine du politique. Un homme est retrouvé mort sur le parking d'une grande enseigne. Ce qui pourrait passer pour un suicide va vite se transformer en un indémontable complot politique à grande échelle. Le cadavre est celui d'un conseiller du premier ministre et plusieurs signes indiquent qu'il ne s'est pas retrouvé là par hasard. Quelles sont les conséquences du meurtre et pourquoi certaines personnes semblent vouloir étouffer l'affaire ?

La criminalité est dans notre civilisation comme la drogue dans le sang du camé, qui sait qu'elle le tue mais qui ne peut ni ne veut s'en libérer.

Au fur et à mesure que l'enquête avance, Coralie passe de "ringarde" à touchante. Dans la seconde moitié du roman, l'auteur nous présente le passé de ce personnage et nous explique pourquoi elle a choisi de vivre ainsi sur le plan professionnel et personnel. Dans ce polar très réaliste, on sent que l'écrivain connaît parfaitement le monde de la politique, et notamment le rôle et le pouvoir de chacun. La décadence de la société décrite dans ce roman semble être orchestrée par les ambitions des politiciens trop avides de pouvoir et d'argent. Dans cette machination au relent d'affaire Clearstream, chaque poste politique et chaque administration en prend, à juste titre, pour son grade. J'ai eu du mal à accepter Coralie comme personnage central, son franc-parler m'a légèrement agacé, mais j'ai trouvé le coup monté au final très intéressant.

Note : 14/20

jeudi 7 mai 2009

Shutter Island

Shutter Island est un roman de Dennis Lehane, auteur réputé dans le monde du polar et dont certains de ses romans ont été adaptés au cinéma : Gone Baby Gone et Mystic River. Ce roman fera lui aussi l'objet d'une adaptation cinématographique par le grand Martin Scorsese.

Présentation de l'éditeur :
Nous sommes dans les années cinquante. Au large de Boston, sur un îlot nommé "Shutter Island" se dresse un groupe de bâtiments à l’allure sinistre. C’est un hôpital psychiatrique dont les patients, tous gravement atteints, ont commis des meurtres. Lorsque le ferry assurant la liaison avec le continent aborde ce jour-là, deux hommes en descendent : le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule. Ils sont venus à la demande des autorités de la prison-hôpital car l’une des patientes, Rachel Solando, manque à l’appel. Comment a-t-elle pu sortir d’une cellule fermée à clé de l’extérieur ? Le seul indice retrouvé dans la pièce est une feuille de papier sur laquelle on peut lire une suite de chiffres et de lettres sans signification apparente. Oeuvre incohérente d’une malade ou cryptogramme ? Au fur et à mesure que le temps passe, les deux policiers s’enfoncent dans un monde de plus en plus opaque et angoissant, jusqu’au choc final de la vérité. Avec Shutter Island, Dennis Lehane est au sommet de son art.

Teddy Daniels et Chuck Aule s'apprêtent à faire escale sur Shutter Island, terrifiante île où se situe l'établissement (mi hôpital psychiatrique - mi prison) qui accueille les personnes les plus violentes et les plus dérangées mentalement. Une tempête se prépare et les deux marshals vont sans doute devoir rester plus longtemps que prévu sur cet étrange site. Dès le début du roman, une ambiance brumeuse et une tension quelque peu électrique s'installent affichant tout de suite la couleur au lecteur. Le roman sera noir, horriblement sombre, et il faudra user de patience et de ruse pour s'en sortir.

Et au beau milieu, flanqué de deux ailes coloniales identiques, se dressait l'hôpital lui-même, un édifice mêlant la pierre couleur anthracite à l'élégance du granit.

Sur un climat d'après guerre, les deux marshals enquêtent sur la disparition mystérieuse d'une des patientes. Rachel Solando a réussi à s'évader de sa cellule fermée à clé et surveillée par un gardien. En plus de ce tour de passe-passe, elle a traversé des salles remplies d'aides-soignants, gardiens et d'infirmiers. Est-elle magicienne ? A t-elle bénéficié de l'aide d'un complice ? Ou l'établissement est-il si mal surveillé ? Quand bien même elle serait sortie du bâtiment, où est-elle passée ? Il est impossible de quitter l'île à la nage et des recherches ont été effectués dans les moindres recoins. Et lorsqu'ils commencent à trouver des signes de vie, des codes laissées par la patiente, d'autres interrogations aparaissent. Qui est le patient 67 qu'elle mentionne ? Autant de questions que se posent les deux flics qui prennent vite conscience que quelque chose ne tourne pas très rond dans cette clinique.

la Lune est capable de bousculer l'océan, imaginez ce qu'elle peut remuer dans la tête

L'île peut être interprétée comme le symbole du cerveau humain. Entourée d'eau comme le cerveau est enveloppé dans le liquide cérébro-spinal, elle abrite une prison dont on ne peut guère s'en évader facilement. L'incarcération physique sur l'île peut aussi être représentée par l'enfermement d'une personne dans ses pensées, sa propre réalité, voire même une sorte de schizophrénie ou autre maladie psychiatrique. Au final, l'île orageuse et son l'hôpital psychiatrique décrits par l'auteur seraient-ils la métaphore d'un cerveau malade ?

la violence de sa propre destruction crée un autre monstre entièrement nouveau

On peut remarquer beaucoup de disparitions présentes tout au long du roman ; le passé qui se volatilise, l'ex-femme de Teddy, la patiente et quelques autres. Ce huis clos efficace est hanté par une sorte de nostalgie et de divers regrets ("Tout a disparu, maintenant."). Avec une tension qui s'accentue au fil des pages, l'auteur joue avec nos nerfs et s'amuse à nous perdre dans son histoire. Le lecteur se sent perdu, troublé ("Oubliez ce que vous avez entendu. Oubliez ce que vous croyez savoir."). Dennis Lehane ausculte, examine et explore au plus profond de ses personnages. Aussi, le lecteur s'aperçoit qu'on le teste, le sonde et l'observe sans cesse. Quelle est selon vous la version des faits ? Que se cache t-il derrière tous ces codes ? Qui est qui ?

Tout se réduit à cette seule question : ma violence est-elle capable de l'emporter sur la vôtre ?

L'auteur glisse depuis le début de son roman des indices mais on ne s'y attarde pas. Il est astucieux, très malin et fait de son ouvrage un véritable tour de magie, de la même manière que la patiente a réussi à s'évader. Ce roman noir est une pièce de collection inévitable pour votre bibliothèque. J'espère que le film sera à la hauteur du chef d'œuvre de Dennis Lehane.

Note : 19/20

mercredi 6 mai 2009

Le dossier Déïsis

Le dossier Déïsis est un thriller de Patrick de Friberg et est le premier roman de la collection Momentum-thriller du Castor Astral.

Présentation de l'éditeur :
L'ingénieur agronome Hubert Ismaïlovski a trouvé la formule d’un maïs parfait qui mettrait un terme définitif aux famines dans le monde. Un maïs qui pousse sans eau, que la Russie compte bien fournir à divers pays africains pourvus de désert… en échange de leur pétrole. Mais c’est sans compter sur la guerre qu’il faut soudain livrer à de terrifiantes abeilles et sur l’action de deux agents des services secrets français, le général Carignac et son bras armé, le commandant Lefort. Un thriller au rythme d’enfer sur les thèmes croisés des manipulations génétiques et des stratégies de choc pour le contrôle des sources d’énergie.

Le Dossier Déïsis se définit plus en tant que roman d'espionnage que thriller pur. Au delà même du simple roman d'espionnage, cet ouvrage traite de sujets douloureux comme la faim dans le monde, l'espionnage industriel, la fragilité du pouvoir dans certains pays africains et la lutte de la nature face aux terribles crimes écologiques des humains. L'auteur nous déplace dans une habile machination de la France au Soudan, en traversant l'ouest de la Russie et la mer noire.

il avait fait la promesse de ne plus vivre que pour nourrir le monde

Le général Carignac et le commandant Jean Lefort s'intéressent d'un peu trop près au projet Déïsis mené par la Russie. Ils vont d'ailleurs rencontrer de multiples péripéties et devoir ruser l'ennemi pour tenter d'arriver à leurs fins qui sont de connaître exactement les intentions des russes et d'empêcher un quelconque désastre de se produire. De son côté, le "Conseiller", espion russe favori du Président, se voit confier la tâche de préparer un coup d'état au Soudan. On peut regretter que le personnage du "Conseiller" (le plus intéressant à mon avis) ne soit pas plus exploité car je l'ai trouvé affreusement appréciable et efficace. Les différentes intrigues se posent dans chacun des coins de la planète pour se rejoindre et créer un coup monté aux conséquences catastrophiques. Au centre de cette action se trouve la "bombe verte" (le nom est-il utilisé en contradiction au terrifiant agent orange ?) qui permettrait de lutter contre la famine.

la plus mortelle des armes de guerre économique - la maîtrise de la faim

Avec ce roman, l'auteur dénonce la toute puissance des multinationales et des pays riches face aux pays du tiers-monde. On assiste à un récit à la fois policier, au suspense assez soutenu, et politique avec preuve à l'appui que la misère pourrait être facilement éradiquée. En effet, l'écrivain a décidé, par le biais de son ouvrage, d'ouvrir nos yeux et notre cœur à la pauvreté qui touche une majeure partie de la population mondiale par la faute de quelques personnes trop avides de pouvoir et d'argent.

le massacre des deux guerres mondiales n'était plus qu'un épiphénomène de la courbe de la mortalité

Malheureusement, je trouve que le roman souffre un peu d'un manque de pages et gagnerait à avoir quelques chapitres en plus, notamment pour prolonger les différentes actions des héros lors de leurs enquêtes. Par contre, Patrick de Friberg arrive intelligemment à jouer avec nos phobies les plus communes ; les insectes (ici les abeilles) et l'épidémie. Au final, Le Dossier Déïsis est un ingénieux roman d'espionnage engagé et traitant d'un complot à grande échelle où l'on bascule d'un univers proche des romans de Robert Ludlum aux domaines de la géopolitique et de l'écologie.

Note : 15/20