lundi 18 mai 2009

Plateforme

Plateforme est un roman de Michel Houellebecq.

Présentation de l'éditeur :
«Dès qu'ils ont quelques jours de liberté les habitants d'Europe occidentale se précipitent à l'autre bout du monde, ils traversent la moitié du monde en avion, ils se comportent littéralement comme des évadés de prison. Je ne les en blâme pas ; je me prépare à agir de la même manière.»
Après la mort de son père, Michel, fonctionnaire de quarante ans blasé, décide de partir en Thaïlande pour goûter aux plaisirs exotiques. Il y rencontre Valérie, cadre dans une grande société de voyages, à qui il soufflera sa théorie sur les vraies motivations des Européens en quête de sensations fortes. Embarqué dans la lutte pour le profit à tout prix, où le corps est plus que jamais une marchandise, Michel jette un regard cynique sur la société occidentale. Mais dans la violence crue de ses constats, il sera peut-être surpris de découvrir que l'être humain est encore capable de sentiments...

Le roman nous invite à partager quelques mois de la vie de Michel, personnage principal dont le prénom, vous l'aurez remarqué, indique qu'il pourrait très bien s'agir de l'auteur. Être humain totalement névrosé ("moins égocentrique et névrosé que moi-même"), il a une pâle opinion de lui-même ("je me considérai avec dégoût : [...] je ressemblais au total exactement à ce que j'étais"). D'ailleurs, dès le début de l'histoire, l'auteur rédige un jugement sur sa vie ; il justifie ses choix, comme le fait de vivre seul par exemple ("j'avais cependant échoué à me faire de véritables amis"). Ceci n'est pas sans rappeler les traits de caractère du personnage de son premier roman : Extension du domaine de la lutte. Ses ouvrages semblent donc se suivre et permettent à l'écrivain d'explorer d'autres univers qui, au final, paraissent tous se ressembler. Là où le personnage de Plateforme est différent, c'est qu'il subit une sorte d'évolution. Lorsque son voyage débute, il est totalement associable, il n'arrive pas à sortir une phrase correcte lorsqu'il est en présence d'un étranger et se replie instinctivement sur lui-même ("Vous n'aimez pas vraiment la vie de groupe ?"). Il manque aussi totalement de confiance en lui ("C'est dans le rapport à autrui qu'on prend conscience de soi ; c'est bien ce qui rend le rapport à autrui insupportable."). Autre trait de caractère, il semble dépourvu de tout sentiment ("je ne ressens aucune émotion particulière") jusqu'à sa rencontre avec Valérie en Thaïlande qui va bouleverser sa vie. Il devient alors un être doté d'émotions, un nouveau-né découvrant la vie, le bonheur et surtout l'amour ("C'est alors que je pris conscience [...] que nous allions probablement être heureux."). Son changement de personnalité s'opère assez rapidement et est vivement remarqué par les autres ("Tu as changé [...] tu as l'air heureux."). Son bonheur s'accroît de jour en jour ("je traversais un univers de désirs légers et de moments illimités de plaisir"). Au final, Michel est un personnage en avance sur son temps. Sans tabou ni religion, il paraît hors de notre espace-temps ("il devenait de plus en plus clair que je ne comprenais pas grand-chose au monde moderne") mais l'auteur le ramène à la raison en lui permettant de découvrir des sentiments humains. L'amour le rend éligible à vivre dans notre société, mais à quel prix ?

Ce n'est pas moi qui suis bizarre, c'est le monde autour de moi.

Comme dans son précédent roman, Houellebecq utilise un récit provoquant, limite choquant. Le fait que le texte soit à la première personne nous indique t-il que l'auteur souhaite nous révéler ses propres secrets et fantasmes ? Quoiqu'il en soit, le fond a beau être dérangeant, la forme n'en est pas moins exceptionnelle, son style est incomparable et ses phrases glissent d'elles-mêmes sur nos lèvres. Dans cet ouvrage sur le thème du tourisme, ou plus exactement sur le tourisme sexuel et non infantile, Houellebecq réalise une analyse complète du comportement des occidentaux face aux valeurs de la vie. En plus, le romancier a ce don de rendre les scènes parfaitement réalistes mais aussi, parfois, légèrement exagérées (certaines flirtent avec le ridicule) ce qui fait ressortir du récit une note d'humour grinçant. En résumé, Houellebecq est un provocateur intelligent qui parsème son texte de questions simples mais existentielles. Le monde est-il prêt à subir une révolution sexuelle ? Est-il tout simplement préparé aux changements ? Se laissera t-il faire face à l'apparition d'un concept novateur créé par un homme qui ne se sent pas appartenir à la société actuelle ?

Européen aisé, je pouvais acquérir à moindre prix, dans d'autres pays, de la nourriture, des services et des femmes ; Européen décadent, conscient de ma mort prochaine, et ayant pleinement accédé à l'égoïsme, je ne voyais aucune raison de m'en priver.

Durant toute l'histoire, le personnage s'interroge sur beaucoup de thèmes et critique chacun d'entre eux. Le premier visé est le tourisme actuel en général. Les destinations de rêves peuvent être de faux-semblants, tout n'est pas si paradisiaque, ce n'est pas le jardin d'éden ("Elle n'était pas Ève, cela dit. Et moi, Adam, pas davantage."). Il critique aussi beaucoup les clubs de vacances et étend son domaine de la lutte du profit au sens large vers tous les styles de tourisme existant. D'autres sujets sont décortiqués et attaqués, comme par exemple le journalisme dit inutile (comprendre magazines people et compagnie) : "Peut-être que les journalistes parlent de ce qui les intéresse, pas de ce qui intéresse les lectrices.", ou encore, la politique qui est montré du doigt avec quelques vannes bien placées : "Il paraissait peu vraisemblable, de toute façon, que les Français votent à nouveau pour Jacques Chirac : il avait vraiment l'air trop con, ça en devenait une atteinte à l'image du pays.". De manière générale, c'est le capitalisme qui est jugé par Michel et donc par l'écrivain : la course de la meilleure performance pour les entreprises se fait ici aux détriments de quelques employés et de vies humaines. Au fil de l'histoire, il continue à dénoncer et à s'attaquer à des sujets de plus en plus sensibles. Après le sexe sous plusieurs de ses formes, la religion est visée. Il ne mâche pas ses mots et ce n'est vraiment pas étonnant qu'il ait suscité de nombreuses réactions. Houellebecq dénonce le mal de toute une civilisation et tente de l'expliquer, voire même parfois de proposer des solutions à travers ses différents personnages. L'auteur montre, explique et s'amuse à décrire les différents comportements de chacun d'entre eux face à des situations peu habituelles. Pour résumer, il réduit la société actuelle en une société totalement amorale et superficielle dominée par le sexe et l'appât du gain.

les Occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble ; c'est peut-être lié au narcissisme, au sentiment d'individualité, au culte de la performance

Note : 17/20

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