lundi 28 juin 2010

Jésus et Tito

Jésus et Tito est le nouveau roman de Velibor Colic. Septième roman mais également le second roman écrit directement en français.

Présentation de l'éditeur :
En 1970, dans la Yougoslavie de Tito, Velibor a six ans et veut devenir footballeur. Noir et Brésilien, de préférence. 
« Relativement tôt, je me suis rendu compte que mes souvenirs, mon enfance, toute ma vie d’avant, appartenaient au Jurassic Park communiste, disparu et enterré avec l’idée de la Yougoslavie. » Velibor feuillette ses souvenirs : une enfance sous le signe de la bonne étoile — rouge — et une adolescence sous influence rock’n roll. On ne choisit pas toujours ses icônes : le petit Jésus contre le maréchal Tito est un match qui se joue tous les jours à la maison. Velibor navigue entre Jack London et Pelé, puis dans les années 80 entre les Clash et Bukowski. Son grand amour sera la littérature. Devenu grand, Velibor rêve d’être poète. Maudit, évidemment.

L'ouvrage est, d'après l'auteur, un mélange d'imagination et de mémoire. Tantôt sous forme de de bilan, tantôt assimilé à une longue confession, Jésus et Tito aborde sous deux regards différents la Yougoslavie de 1970 à 1985. Pourquoi deux regards ? Parce que derrière le côté autobiographique de sa vie de jeune yougoslave, on ressent l'ironie de l'auteur-adulte dans le même discours. On a affaire à un savoureux mélange entre la tristesse d'un adulte et la joie d'un enfant. L'un critique, voire même condamne, certains agissements tandis que l'autre les commet innocemment sans se rendre compte des conséquences.

Jésus, avec ses histoires, ça ne marche plus. L'enfer et le paradis, laisse tomber, quel baratin.
- Avec moi, me dit le Maréchal, arborant son sourire légendaire, c'est tous les jours Noël. Tu vois ...
Au matin, je me suis réveillé fatigué, mais communiste.

Dans un premier temps, Jésus et Tito est le récit d'un gamin totalement perdu parmi les différents peuples qui constituaient l'ex Yougoslavie. Vélibor enfant connaît un réel problème d'identité à la fois culturelle et religieuse. Vient ensuite la lente désillusion du socialisme yougoslave des yeux de cet enfant qui grandit et délaisse peu à peu ce Maréchal Tito. Ce dernier est longtemps considéré comme un héros. Plus connu et adulé que Jésus lui-même dans son pays.
Jésus et Tito relate l'histoire d'un gamin et de ses amis remplis d'espoir. Ils forment avec le reste de la population un peuple extrêmement fier de son régime politique. Mais en grandissant le pouvoir hypnotique du capitalisme attire ces gamins, qui ne rêvent que de s'ouvrir au monde, dans ses filets. Ils rêvent de rock américain, de football international, de gadgets, d'habits punk ... et c'est lorsque vient le temps de l'armée que Vélibor, jeune adulte, prend conscience de la bêtise humaine.

Je veux être poète, et maudit si possible.

Véritable critique sous forme autobiographique, Jésus et Tito est un excellent récit dont le titre lui-même offre un conflit. Sous le biais de choses simples (comme une photo dans un porte-feuille), l'auteur démontre à quel point les ex-yougoslaves vénéraient leur chef d'état. Le conflit des religions, des idées et des cultures annoncent petit à petit une tension grandissante entre les peuples.
Vélibor Colic offre une vision intéressante et assez nouvelle de la Yougoslavie en s'arrêtant finalement juste avant le début de la guerre des Balkans. L'auteur utilise un style très riche et rend son récit bien plus intéressant qu'il n'y parait. Il fait preuve d'une intelligence rare dans la littérature contemporaine en combinant à la perfection humour et force narrative. Un excellent roman donc qui restera longtemps comme une référence à mes yeux.

Relativement tôt, à vingt-huit ans, je me suis rendu compte que tous mes souvenirs, mon enfance, toute ma vie d'avant, appartenaient au Jurassic Park communiste, disparu et enterré en même temps que l'idée de la Yougoslavie, pays des Slaves du Sud.

samedi 26 juin 2010

Exfiltration

Exfiltration est le nouveau roman de David Ignatius, déjà auteur  de Une vie de mensonges qui a été adapté au cinéma par Ridley Scott.

Présentation de l'éditeur :
De Téhéran, un scientifique iranien qui se fait appeler Docteur Ali envoie un message codé à la CIA sur l’état des recherches nucléaires au pays des mollahs. Harry Pappas est chargé par l’Agence de déterminer s’il est crédible. Mais le temps presse : la Maison Blanche veut absolument des informations pour justifier une intervention en Iran.
Les erreurs qui ont conduit au désastre irakien vont-elles recommencer ?
Pour éviter une guerre inutile, une seule solution : en apprendre plus de Docteur Ali. Mais comment faire ? Harry Pappas va se tourner vers ses chers amis anglais…

Partagé entre l'ennui et l'espoir de voir naître un très bon roman d'espionnage, je n'arrive toujours pas à savoir si j'ai aimé ou non ce polar. Pendant la quasi totalité du roman, on assiste à une sorte de guerre des tensions sur un thème en plein dans l'actualité. Le lecteur est baladé de Téhéran à Washington en passant par Londres. Ces fréquents changements de décor donnent du rythme mais semblent cacher en fait une intrigue bien trop plate. L'histoire n'avance pas et l'auteur paraît miser uniquement sur la montée en pression de la crise politique entre l'Iran et les Etats-Unis. Malheureusement les personnages m'ont laissé un goût amer, voire d'inachevé. Harry Pappas n'a clairement pas la carrure et l'ambition pour occuper la fonction qui lui est attribué au sein de la CIA. Un semblant de frisson fait son apparition en Iran lorsque le Docteur Ali a des démêlés avec la justice mais le rideau se ferme trop vite et le changement de scène apparaît bien trop tôt pour nous méduser.

C'est lorsque les 'méchants' anglais entrent véritablement en scène que l'intrigue prend enfin tout son sens. On assiste alors à un roman d'espionnage de haut niveau. Mais là encore il manque un peu de piment, de suspense et de rebondissement pour nous en mettre plein la vue. Au final je me suis senti frustré par l'histoire qui s'annonçait quand même très alléchante. L'auteur aurait peut-être dû étoffer certains passages et en supprimer d'autres pour rendre son roman plus passionnant ... après ce n'est qu'une question de goût.

mercredi 16 juin 2010

Te retourne pas, Handala !

Te retourne pas, Handala ! est un roman d'Olivier Gérard sorti chez Kyklos Editions et préfacé par Jean-Claude Carrière.

Présentation de l'éditeur :
Marié à Sandra, une femme qui a embrassé le judaïsme et tenait à faire l’alyah – le retour en Terre Sainte – Asso se retrouve à gérer une boutique d’articles de sport au cœur de la plus riche colonie juive d’Israël, à deux pas de Jérusalem. Son existence monotone aurait coulé sans histoire… c’était compter sans l’irruption de celui qui fut jadis son mentor : Mossan, l’homme qui, en s’appropriant son adolescence au point de vouloir faire de lui son double, a suscité sa haine.
Devenu pdg planétaire, Frank Mossan joue les philanthropes et s’avise de vouloir rendre l’eau à un village palestinien de la Vallée du Jourdain au bord de la sécheresse en le dotant des panneaux solaires qu’il fabrique. Soulevant un tollé dans la communauté juive d’Israël et chez ses colons, l’intrusion de Mossan déchaîne tout autant la fureur des terroristes islamistes.
Pris entre deux fanatismes, jeté dans la tourmente qu’ils attisent, montré du doigt comme ancien protégé du milliardaire Mossan, Asso devient, à son corps défendant, le jouet d’un complot infernal.

Et pour les curieux, une petite présentation du célèbre Handala par l'éditeur :
Handala, créé par le célèbre dessinateur Naji al Ali, souvent tagué sur le Mur qui sépare Israël de la Palestine, est un petit garçon va-nu-pieds et déterminé qui tourne le dos au monde. Enfant palestinien, il était au début le symbole de la lutte palestinienne, mais sa conscience s'est développée pour devenir celle d'une nation, puis de l'humanité toute entière. La légende raconte qu'il ne se retournera que lorsque le Mur sera détruit.
Handala veut dire amertume, du nom d'un arbrisseau très amer poussant dans le désert.
Photo :  © Olivier Blaise


C'est en plein dans l'actualité que l'auteur décide d'orienter son troisième roman. Le conflit israélo-palestinien n'est pas tout neuf mais continue pour le plus grand malheur de tous. Olivier Gérard ne prend position pour aucun des deux parties et place son personnage au centre de la lutte. Asso est français et s'est retrouvé un peu par hasard en Israël. Orphelin assez jeune, il a été élevé par un homme riche mais cette vie ne lui convenait pas. Il est donc parti et a parcouru de nombreux kilomètres pour se chercher. C'est en Inde qu'il rencontre celle qui sera sa femme, Sandra. Celle-ci nourrit peu à peu une passion pour le judaïsme qui va les mener près de Jérusalem.

- Les kamikazes, on les appelle des héros ! Ce sont des assassins, doublés de suicidaires !

L'auteur enterre une fois pour toute cette idée totalement fausse qu'un pourcentage important de palestiniens sont des terroristes. Bien qu'il y en ait, il signale également l'existence de groupuscules extrémistes du côté des israéliens. Asso est pris entre deux peuples et deux religions dont il ne se sent pas proche. Il devient ainsi la proie idéale à manipuler par les fanatiques des deux camps. Et comme si cela ne suffisait pas, la déchirure qu'il vit intérieurement se répercute sur son couple et donc sur sa vie de famille qui, pas à pas, se brise sous les yeux de son fils impuissant.

Un nuage de sang s'étend autour de sa robe immaculée, comme pour l'enlever au Paradis.

Fort d'une vie richement remplie, Olivier Gérard se place comme un témoin impuissant dans les yeux de son personnage. Asso se sent perdu et ce sentiment ne pouvait pas trouver meilleur point de chute que dans ce conflit sans fin. C'est donc avec force et courage que l'auteur s'attaque à un sujet hautement sensible et s'en sort avec brio. Les phrases sont courtes et le style impeccable. Toutes sortes de personnages défilent et laissent apparaître chacun à leur façon un caractère bien personnel.
Au final, il découle de ce fabuleux récit une histoire très sombre, très noire et sans avenir. Un très bon moment de lecture.

lundi 14 juin 2010

Interview de Christian Rauth

Suite à la lecture de Fin de série de Christian Rauth (voir ici mon article à ce sujet), j'ai eu la chance de pouvoir interviewer l'auteur avec Raven de Plume Libre. Merci donc à elle et à Plume Libre de m'avoir laissé poser mes questions à l'auteur. Voici le lien de l'interview sur le site Plume Libre.




Petite présentation rapide de Christian Rauth  : CHRISTIAN RAUTH, auteur dramatique et scénariste – créateur entre autres de Père et Maire –, acteur : 30 pièces de théâtre, 140 films et, à la télévision, le fameux inspecteur Auquelin, dans Navarro. Fin de série est son deuxième roman. (source : Michel Lafon)


Bonjour Christian Rauth, afin de mieux vous connaitre, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre parcours ? 
   Mon parcours professionnel débute par le théâtre. J’ai eu une compagnie théâtrale très jeune (à 25 ans)  et j’ai créé de nombreuses pièces d’auteurs contemporains. Puis j’ai commencé à tourner comme acteur pour la télévision et le cinéma dans les années 80.
Je vous invite à consulter trois sites qui donnent plus de détail :
http://www.clubdesauteurs.com/contenu/pdf/christian-rauth.pdf
http://www.cineart.fr/Talents/cv/rauth-christian-473
http://www.teletek.fr /


Comment êtes-vous arrivé dans le monde de l’écriture ? 
     J’ai commencé à écrire des adaptations de pièces, puis des scénarios de clip vidéo pour des chanteurs. J’ai écrit mes premiers scénarios de télévisions dans les années 90. Ensuite est venu le temps du cinéma. J’ai écrit le scénario d’Omnibus en 1991, un court métrage de Sam Karmann, qui a reçu de nombreux prix, dont un Oscar à Hollywood.( DVD toujours en vente, au passage…) Le cinéma ne m’ayant pas tendu les bras après ce film, (et après un long métrage avorté à quelques jours du tournage),  j’ai écrit pour la télévision. Ainsi, j’ai créé la Série Les Monos pour France2, puis la série Père et Maire pour TF1, avec mon ami Daniel Rialet comme « sparring-partner » d’écriture.


A quoi ressemble votre journée de travail ?
     Dans la phase de création de l’histoire et de sa structure, j’écris en général le matin très tôt, chez moi au calme, durant trois à quatre heures. Quand j’ai construit et écrit une première version, je peux alors travailler à toute heure, plus longuement encore et en tout lieu. J’adore par exemple, écrire dans le train : je voyage et voyage dans ma tête…En revanche, il est rare que j’écrive pendant un tournage.


Il faut pas mal d'imagination pour inventer une histoire, ou puisez-vous vos idées ?
    On n’écrit pas vraiment avec « des idées ». On écrit avec l’envie d’exprimer son point de vue sur le monde. Quand un sujet s’impose à moi (et il est souvent très simple : la vengeance, l’amitié, l’amour, le désir de justice) je cherche les personnages et l’intrigue qui vont me permettre de développer le thème choisi. Et les décors dans lesquels les personnages évoluent, c’est très important les décors. Puis, je puise dans mon expérience personnelle. Cela dit,  j’écris avec ma « mémoire affective » comme dirait Freud, bien plus qu’avec des événements factuels car je ne prends  jamais de notes en vue d’une prochain scripte ou d’un prochain roman. Donc ce sont les faits marquants qui reviennent à la surface, ceux qui m’ont touchés intimement, ou qui m’ont faire rire… 


Comment naissent vos personnages ? Utilisez-vous les caractéristiques physiques et/ou psychiques de votre entourage pour leur donner vie ou bien les inventez-vous de toutes pièces ?
     « J’invente avec du vrai ».  Les personnages c’est l’essentiel de mon travail car ils  sont les porte-paroles de mon thème. En général, je fais une biographie complète du personnage, de sa naissance à sa venue dans l’histoire que je veux raconter. Je dois connaître ses parents, sa famille, son mode de vie, ses désirs, son signe astral, son point de vue sur le monde etc. Même son prénom fait l’objet d’une recherche, car les prénoms sont aussi une caractérisation forte du personnage.
 Les caractéristiques physiques sont parfois liées à une personne que j’ai rencontrée, même si je m’en éloigne par la suite. J’ai pris cette habitude « d’incarner » de « caractériser » fortement mes personnages, car pour dialoguer, je dois voir et vivre la situation. C’est ainsi que le lecteur « visionne » la scène avec plus de facilité.


Quel est celui dont vous vous sentez le plus proche. Et pourquoi ?
     Dans Fin de Série, celui qui pourrait me ressembler est évidemment Rob Marin, bien qu’il ne me ressemble qu’en partie. Je ne suis pas Rob Marin ! Mais Rob Marin pense parfois comme moi. En réalité celui qui m’est le plus proche c’est Gabriel Plume, le jeune flic Marseillais qui est une « réincarnation » rêvée de mon ami Daniel.   Cependant, tous les personnages me sont proches. Je les aime tous, même si j’en déteste certains comme Georges Destouches par exemple, ce facho antisémite et pervers, ou Milki ce flic raciste de la sécurité à la Gare Saint Charles.


S'il devait y avoir une adaptation ciné de votre roman, quels acteurs imagineriez-vous dans les rôles principaux, quel rôle aimeriez-vous tenir et pourquoi celui-là ?
     Pour Rob Marin, j’imagine Jean Dujardin (On est très loin de moi, comme vous le voyez), pour son sens de la comédie et sa capacité à susciter l’émotion. Pour Gabriel Plume, pourquoi pas Laurent Deutch ou Pef ? Ils auraient tous deux la capacité de faire renaître l’humanité et la naïveté de Daniel Rialet qui a inspiré le personnage de Gabriel.
Quant à moi, je me verrais bien dans Attilio le patron de bar. Mais je n’ai pas encore 75 ans…   Ou peut-être Ramon qui est un personnage un peu lourdingue, mais à qui je pourrais donner un peu plus de sensibilité.


En lisant "Fin de série", on ne peut s'empêcher de penser aux grandes séries policières, d'une part au vu de votre carrière mais également pour le décor du roman et sa forme narrative. En effet, on est loin des thrillers dits "à l'américaine" ou des romans noirs. Où situez-vous votre roman dans la littérature policière actuelle ?
    Difficile de me situer dans la littérature policière actuelle sans tout de suite me comparer à des auteurs que j’admire. Or je ne veux pas me comparer.
Disons que Jean Bernard Pouy, Pierre Pelot, Tito Topin, Philippe Carrese, Connely (Créance de Sang) Stuart Kaminsky, Jean Vautrin, sont des auteurs dont je me sens proche. Maintenant, les auteurs dont je peux revendiquer l’héritage « stylistique » ne sont pas nécessairement des auteurs de polars. Audiard, Jeanson, (pour enfoncer des portes ouvertes…) mais aussi Alphonse Boudard, René Fallet, Donald Westlake, Albert Cohen, Henry Miller … et surtout Tom Sharp, qui est pour moi l’auteur le plus déjanté que je connaisse après Shakespeare.
Quant à dire qu’on est loin des thrilleurs à l’américaine, je ne sais pas. Je ne pense pas être si éloigné des romans de Westlake quand je repense à la bande de Dortmunder…
 

Sans en dire trop sur l'intrigue de "Fin de série", d'où vous est venue l'idée de départ ?
     Il y a eu un événement déclencheur dans ma vie personnelle. J’ai assisté à une scène d’humiliation d’un ami par quelqu’un de « très médiatique ». C’était d’une grande injustice et d’une grande vulgarité. Et je me suis dit qu’il fallait partir de cette notion de « perte du sens commun » chez certaines stars du journalisme, de la chanson, du cinéma pour développer le thème de la vengeance et du pardon. Ensuite… les idées viennent comme pour venir appuyer le désir « premier ».
 
 
On remarque dans "Fin de série" une connaissance certaine du monde du grand et du petit écran. Et ce qui est intéressant justement c'est que vous utilisez ces connaissances avec justesse. A aucun moment vous ne noyez le lecteur dans des détails, vous n'en faites jamais trop. Est-ce un choix volontaire ? Une question de rythme ? N'est-ce pas trop frustrant pour une personne avec une telle carrière de se retenir alors que l'on voit de plus en plus d'auteurs contemporains emprunter un style légèrement encyclopédique ?
    Non, pas frustrant du tout. C’est un choix volontaire. Je m’impose une règle : ne pas emmerder le lecteur. Les américains appellent ça le « turn the page ». Je veux que le lecteur se régale mais ne se goinfre pas. C’est une technique qui s’apprend, qui se travaille. J’ai fait cinq versions du livre. C’est comme en cuisine : on choisit les ingrédients, on mélange, on mijote longuement… et on réduit.
Et puis,  j’ai tout de même écrit plus de trente scénarios qui se sont tournés. Alors je commence à maîtriser certaines techniques narratives, bien que pour un roman les codes soient un peu différents.
 
 
Votre style est à la fois fluide et accrocheur. On sent une écriture maîtrisée et travaillée. Écrivez-vous depuis longtemps ou est-ce une nouvelle passion ?
    J’écris depuis l’âge de 11 ans. J’adorais faire des rédactions à l’école. J’adore raconter des histoires. C’est sans doute lié à la solitude dans laquelle je me trouvais dans mon enfance.  Et j’ai une passion pour la langue française. J’ai dévoré des centaines de livres de toutes sortes. Ecrire et transmettre des émotions avec de simples mots, c’est un miracle.
J’ai commencé très tard à écrire des romans… j’avais une si haute opinion de la littérature que je ne m’en sentais pas capable. C’est Jean Bernard Pouy qui m’a mis le pied à l’étrier, avec Le Poulpe.
Et puis, quand je vois la médiocrité de certains romans « dit » d’auteurs, je ne regrette pas d’avoir écrit les miens. Tant pis si cela paraît prétentieux, mais pour être franc, je trouve que le petit monde Germanopratin de l’édition s’auto congratule avec une complaise qui exclue de nombreux auteurs de talents. ». Je ne parle pas nécessairement de moi. Benjamin Legrand, par exemple, vient de sortir au Seuil un très bon polar qui s’appelle « Le cul des Anges ». Qui en parle, quelle émission littéraire s’intéresse à ce livre ? Pour l’instant personne… ou presque. C’est son neuvième roman. Mais il ne fait pas partie du « tout littéraire ». Sans parler du fait que le Roman noir est un genre mineur pour de nombreux critiques.
 
 
Que voudriez-vous dire aux lecteurs qui n'ont pas encore lu votre roman ? Et à ceux qui l'ont déjà lu ?
A ceux qui ne l’ont pas lu ?

    Leur dire qu’un roman est un voyage et que je leur propose une croisière pleine de surprises. Il faut qu’ils prennent le risque de monter à bord, même si le capitaine vient d’avoir son diplôme… Ils vont se marrer et sans doute apprendre deux trois trucs sur le monde de la télévision et de la police française. Et j’espère qu’ils seront émus… C’est important l’émotion.
A ceux qui l’on lu ?
Je dirais d’abord merci. Ils ont dépassé les préjugés, les « a priori » que les médias nous imposent. Un roman se juge en le lisant, pas à la tête de l’auteur ou son passé, quel qu’il soit,  fût-il un acteur de série de télévision.
 
 
Quelles sont vos références littéraires et vos coups de cœur récents ?
    J’ai vous ai déjà parlé de mes auteurs préférés un peu plus haut. J’ai oublié Simenon dans la liste, le maître de la simplicité.
Mon coup de cœur récent ?
Je dois avouer que j’ai très peu lu depuis quelque temps. Quand j’écris j’ai du mal à  rentrer dans d’autres univers.
Ma dernière lecture : Photo finish de Tito Topin. Bouleversant.  Ma dernière découverte : un auteur italien : Giorgio Scerbanenco : « à tous les râteliers »… un chef-d’œuvre d’humanité et de violence. A lire absolument.
 
 
En tant qu'acteur, dans quel film auriez-vous voulu jouer ? Et en tant qu'écrivain, quel roman auriez-vous aimé écrire ?
    Quel film ?
J’aurais aimé joué dans « La Fête à Henriette » un de mes films préféré de Julien Duvivier, dialogues d’Henri Jeanson. Réalisation magnifique et dont certaines scènes n’ont rien à envier aux réalisateurs américains ( La poursuite dans le Gaumont Palace et le cimetière Montmartre, un must !) Et aussi dans le « Vol au dessus du Nid de Coucou ». De toute façon, j’aurais aimé jouer tous les rôles de  Jack Nicholson. Mais n’est pas Nicholson qui veut… Il faut savoir rester à sa place.
Quel roman aurais-je aimé écrire ?
Incontestablement « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, ce qu’on a écrit de plus beau sur l’Amour et la Passion. Vous voyez, on est loin du polar… Et si je dois donner un titre de roman policier: A tous les râteliers de Giorgo Scerbanenco.
 
 
Votre travail en tant que scénariste, a-t il influencé votre façon d’écrire ?
    Evidemment ! Pour écrire un film il y a des règles et je m’en sers également pour le roman. Il faut les connaître, quitte à les malmener après. Et puis un film, c’est aussi des dialogues. J’espère que pour Fin de Série, les gens se souviendront de certains dialogues du roman.
 
 
Quel est la différence entre l’écriture d’un scénario et celle d’un roman ?
    Un scénario est un travail, tout à la fois solitaire et collectif car le réalisateur a sa part dans le cursus de fabrication. Ensuite interviennent les acteurs, le chef opérateur, le monteur, pour donner vie à votre univers. Un scénario c’est un outil de travail, pas un objet fini. C’est une œuvre intermédiaire.
En revanche, écrire un roman est un exercice solitaire, qui prend un temps considérable. Personne n’est là pour vous dicter ce que vous devez écrire. Vous êtes seul responsable. Donc seul responsable de sa qualité ou sa médiocrité.
 
 
Des projets à venir ?
    Plusieurs scénarios, mais je n’en parle pas. Le métier va mal, c’est très compliqué en ce moment pour aboutir un projet de film.
J’ai un roman en tête. Il vient de me tomber dessus. Comme dit mon ami Pierre Pelot : « - Certains indiens d’Amérique disent que toutes les histoires existent déjà dans le ciel. Un jour, une d’entre elles vous tombe dessus. Il faut savoir l’accepter. » Je peux juste vous donner le titre : « Même pas mort ! »

Merci, Christian Rauth, pour le temps que vous nous avez accordé, nous vous laissons le mot de la fin.
    Je vais vous citer Jean de La Bruyère (1645-1696) :
« Il n'y a au monde que deux manières de s'élever, ou par sa propre industrie, ou par l'imbécillité des autres. «
J’essaie ma propre industrie… avec ce roman.

dimanche 13 juin 2010

Jéricho

Jéricho est le troisième thriller de Josef Ladik aux éditions First. Derrière ce pseudonyme se cache un magistrat qui se dit comme l'un des témoins privilégiés de l’époque que nous vivons. Reste à savoir si l'écriture est depuis toujours une passion ou s'il s'agit d'une sorte d'exutoire. J'imagine que c'est un peu des deux !

Présentation de l'éditeur :
Été 1816. La frégate La Méduse s'échoue au large des côtes africaines. Sur les 147 passagers qui vont alors dériver sur un radeau de fortune, seuls 15 survivront à ce véritable enfer. L'un d'eux est recueilli par une tribu, et fait une découverte qui pourrait bouleverser l'ordre du monde si elle venait à tomber entre de mauvaises mains. Une découverte qui ramène aux sources du monothéisme et du langage. De retour en France, devenu éditeur au Palais Royal, il couche son secret sur un manuscrit qu'il fait disparaître, puis publie le récit du naufrage.
Aujourd'hui. Le Terrible, un sous-marin nucléaire disparaît au Moyen-Orient. Le groupe terroriste "Jéricho" revendique le détournement et menace l'État français. Alors que l'ultimatum approche, des agents secrets sont lâchés dans Paris et un tueur psychopathe rôde alentour. Au Louvre, non loin du Radeau de la Méduse, la célèbre toile de Théodore Géricault, un guide est retrouvé décapité. Le Lieutenant Lazare, amateur d'art fraîchement promu à la brigade criminelle, tient là de quoi faire ses preuves. Comme le lui disait son père : "Lazare, dans la vie, il n'y a pas de hasard."

Avec son nouveau thriller, Josef Ladik combine les genres passant son roman d'un pur thriller à un roman d'espionnage, puis d'un récit historique à un polar des plus classiques. L'auteur semble connaître et maîtriser toutes les ficelles du genre. Aucun doute là-dessus, le roman est dès le départ un véritable page-turner.
Par contre, ce mélange légèrement excessif de genre peut perturber le lecteur et mêler parfois la confusion dans l'histoire. On se demande parfois où veut en venir l'auteur et s'il n'a pas perdu lui-même le fil de son intrigue. Mais Josef Ladik ne s'y perd pas et c'est pour notre plus grand plaisir qu'il arrive à donner un sens à toute son histoire.

Le ciel était gris, et plusieurs personnes croisaient leurs trajectoires et leurs destins improbables autour de la fontaine

Entre les scènes d'actions au style hollywoodien qui n'ont rien à envier à Mission Imposible et les monologues d'un psychopathe en manque de meurtres, l'auteur a tendance à trop s'attarder sur certains détails qui produisent une perte de rythme malgré les courts chapitres. J'aurais aimé qu'il confine ses personnages en leur donnant un peu plus de saveur, d'existence, quitte à en supprimer quelques uns.
Malgré ces quelques défauts, Jéricho est un thriller réfléchi et enrichissant. Donnant parfois une sensation de fraicheur, le roman est agréable à lire et procure de nombreuses autres émotions. Les faits historiques relatés sont captivant bien qu'ils ne soient finalement limités. Josef Ladik s'est évidemment servi de ses connaissances personnelles (ou plutôt professionnelles) pour offrir plus de crédibilité à son nouveau roman et propose même quelques idées de polémique sur certains sujets vifs de l'actualité politique. Amateurs de thriller, je pense que Jéricho devrait vous plaire !


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jeudi 10 juin 2010

Mille Soleils Splendides

Mille soleils splendides est le second roman de Khaled Hosseini, l'auteur de l'excellent Les Cerfs-volants de Kaboul.

Présentation de l'éditeur :
Forcée d'épouser un homme de trente ans son aîné, Mariam ne parvient pas à lui donner un fils. Après dix-huit années de soumission à cet homme brutal, elle doit endurer une nouvelle épreuve : l'arrivée sous son propre toit de Laila, une petite voisine de quatorze ans. Enceinte, Laila met au monde une fille. D'abord rongée par la jalousie, Mariam va finir par trouver une alliée en sa rivale.
Toutes deux victimes de la violence et de la misogynie de leur mari, elles vont unir leur courage pour tenter de fuir l'Afghanistan. Mais parviendront-elles jamais à s'arracher à cette terre afghane sacrifiée, et à leur ville, Kaboul, celle qui dissimulait autrefois derrière ses murs "mille soleils splendides" ?


Mille soleils splendides est plus qu'un récit, c'est une épreuve émouvante dénonçant en premier plan la condition des femmes en Afghanistan puis dévoilant l'extraordinaire courage de celles-ci face aux règles extrémistes de certains hommes. A travers les yeux de deux femmes d'âges différents, l'auteur dresse le portrait d'un pays qu'il aime et qui souffre. C'est par le biais de ces deux héroïnes, parce que ce sont de véritables héroïnes, que l'on découvre une partie de l'histoire de l'Afghanistan ; notamment les guerres et les différents gouvernements qui se succèdent imposant chacun des lois plus ou moins strictes. Entre les guerres civiles, l'invasion soviétique et la prise de pouvoir par les Talibans, ce carrefour asiatique voit ses habitants subirent sans cesse de nouvelles souffrances. Mariam et Laila en sont des témoins mais également, et surtout, des victimes.

de même que l'aiguille d'une boussole indique le nord, un homme qui cherche un coupable montrera toujours une femme du doigt

Le roman aux mille émotions possibles se démarque de toutes mes précédentes lectures par sa facilité à bouleverser son lecteur. Les mots et les tournures sonnent juste. Hosseini a la capacité de changer de façon fulgurante les sensations qu'il nous inflige. On passe du sourire aux larmes tout au passant par la peur et l'apaisement.
Laila est une jeune femme de la ville élevée par des intellectuels et au caractère très fort. Mariam, quant à elle, vient de la campagne et a été élevée dans la honte d'être une 'bâtarde' par une mère légèrement démente. Mariée de force cette dernière va connaître l'enfer d'être la femme d'un homme violent, misogyne et plus vieux qu'elle. Malgré qu'elle ait subi les pires horreurs et les plus fortes humiliations depuis sa naissance, Mariam va faire montre d'un courage presque irréaliste jusqu'à la fin de sa vie. Bien que tout les sépare, les deux femmes vont finir par s'allier et se soutenir face à ce mari qui les bat à la moindre occasion. Mille soleils splendides est la fabuleuse histoire de ces deux femmes de leur enfance à leur vie d'adulte, de leur combat pour survivre et de leur incomparable bravoure.

Une femme qui, telle une pierre au fond d'une rivière, endurera tout sans se plaindre, et dont la grâce ne sera pas souillée mais façonnée par les remous du courant.

Plus le temps passe et plus la condition féminine se voit petit à petit anéantie. D'abord obligées de porter une burqa par certains maris exigeants, elles vont connaître les pires atrocités de la part des Talibans. Privées de soins médicaux ou encore interdites de circuler sans homme à leur côté, elles vont être traitées comme des sous-hommes ou comme des esclaves, voire même comme du bétail.
Citée à deux reprises, l'histoire de Pinocchio fait figure de "critique sociale ouverte d'une justice corrompue". Ces deux femmes ramenées à de simples pantins de bois sans âme vont tout faire pour devenir de vraies femmes face à l'injustice imposée. Vivantes et épanouies. Les yeux tournés vers l'avenir et le visage enfin libre.
Khaled Hosseini signe en tant que conteur de génie un véritable chef d'œuvre littéraire, un témoignage effrayant d'un peuple qui ne connaît toujours pas la paix et qui subit mille épreuves sordides depuis trop longtemps.

dimanche 6 juin 2010

Credo

Credo est un thriller ésotérique de Jean-François Prévost dont la sortie au format poche par Odile Jacob est prévu ce mois-ci.

Présentation de l'éditeur :
Le 13 juin 2004, l’analyse génétique d’un sang miraculeux donne au Vatican la preuve de l’existence de Dieu.
Cette information est immédiatement classifiée « secret pontifical ».
Un seul homme peut la lire : il s’appelle Jon Cooper.
En suivant la course mystérieuse et sanglante de cet astronaute, partez à la découverte de la vérité sur le linceul de Turin.
Une épopée qui mêle les temps et les lieux, les styles et les genres, qui croise théologie, génétique, histoire et physique quantique, et où il est ni plus ni moins question… du destin de notre monde et de la nature du temps.

Avec ses presque 600 pages, Credo s'apparente à un pavé littéraire démotivant. Mais heureusement l'auteur ne s'enferme pas dans un style trop encyclopédique ou trop descriptif. C'est surtout d'un point de vue scientifique qu'il faut parfois s'accrocher. Physique quantique, génétique ... autant de sciences intéressantes mais compliquées sont abordées dans ce thriller mélangeant les genres.
Tantôt thriller ésotérique, tantôt roman d'anticipation voire même à la limite de la science fiction, le roman ne s'isole véritablement dans aucun des genres. Les amateurs de frissons bibliques, d'angoisses spatiales ou encore de groupuscules vengeurs et assassins devraient tous trouver leur compte ... à condition qu'ils ne soient pas allergiques aux autres catégories.

Prévost construit son roman un peu à la manière de l'Echiquier du mal de Dan Simmons, mélangeant ainsi les époques et multipliant les intrigues. De nombreux personnages ont leur importance et chacun d'entre eux semble suivre une voie toute tracée. Sogol est le scientifique obstiné, Tadeusz le guerrier impitoyable ravagé à l'intérieur, et Jon Cooper est celui par qui tout semble possible ...
Loin du thriller ésotérique façon Dan Brown préférant jouer sur le rythme plutôt que de façonner ses personnages, Credo m'a beaucoup fait penser au superbe L'évangile selon Satan. L'auteur prend son temps pour nous balader dans l'espace et dans le temps tout en multipliant les angoisses et les merveilles. Il travaille calmement ses différentes intrigues pour leur donner un sens et une intensité d'une très grande force.

Malgré les différents et savoureux thèmes abordés, j'ai trouvé que le roman se centrait trop sur un unique message du type "c'est le chemin que Dieu a choisi pour toi alors suis-le" limitant ainsi le côté surprise et imprévisible de son histoire. L'approche scientifique est parfois très complexe mais elle reste abordable et surtout intéressante. D'ailleurs le travail de documentation de l'auteur est assez impressionnant.
Ainsi, malgré quelques clichés du genre dont l'auteur n'a pas réussi à se débarrasser, Credo est un bon thriller qui se lit vite bien que le nombre de pages peut en décourager plus d'un.