lundi 27 janvier 2014

Terminus Belz

Terminus Belz est le premier roman d'Emmanuel Grand publié le 9 Janvier 2014 aux éditions Liana Levi.

Présentation de l'éditeur :
Il s’appelle Marko Voronine. Il est en danger. La mafia le poursuit. Il croit trouver refuge sur Belz, une petite île bretonne au large de Lorient coupée de tout sauf du vent. Mais quand le jeune Ukrainien débarque du ferry, l’accueil est plutôt rude. Le métier du grand large en a pris un coup, l’embauche est rare sur les chalutiers et les marins rechignent à céder la place à un étranger. Et puis de curieuses histoires agitent en secret ce port de carte postale que les locaux appellent «l’île des fous». Les hommes d’ici redoutent par-dessus tout les signes de l’Ankou, l’ange de la mort, et pour Marko, les vieilles légendes peuvent se montrer aussi redoutables que les flingues de quelques tueurs roumains.
Tricotant avec brio un huis clos inquiétant et une course-poursuite haletante, Emmanuel Grand mène son thriller d’est en ouest à un train d’enfer.


Sacré premier roman ! Tout est réuni pour plaire. Des personnages attachants, un rythme qui ne relâche jamais et une atmosphère profondément noire et inquiétante. Il faut dire que l'auteur sait choisir son décor : une petite île au large de la Bretagne, une petite île qui semble perdue au bout du monde où tout peut arriver et où les légendes locales semblent prendre vie.
L'Ankou est l'une de ces légendes très présentes qui nourrissent l'île de superstitions et d'histoires totalement improbables. L'Ankou est la personnification de la mort et est désigné par beaucoup de marins comme le responsable des pertes humaines en pleine mer.

D'ailleurs, lorsque Marko parvient à décrocher un petit boulot comme marin sur l'île, la légende refait surface et apporte avec elle de biens tristes évènements. Mais ce qui dérange le plus Marko ce ne sont ni les légendes fantasques qu'on lui raconte, ni la haine que déploient certains locaux envers lui. Non, il redoute plus que tout la mafia ukrainienne qui le recherche activement pour lui faire la peau.
Tandis que certains pêchent, que d'autres s'engueulent, Marko, lui, se cache. Immigré en France depuis peu avec une poignée de compatriotes dont il a fallu se séparer, Marko n'a pas eu d'autres solutions que d'échapper et de se rebeller face aux violents mafieux ukrainiens.

Les liens entre Marko et Caradec, le pêcheur qui le recueille, se renforcent petit à petit. Une véritable complicité s'installe entre les deux hommes. J'ai trouvé l'auteur très à l'aise avec ses personnages, il transcrit parfaitement les sentiments qui les animent. On rencontre la peur, cette peur des étrangers qui viennent 'envahir votre territoire' et vous 'piquer' votre boulot, la peur de l'inconnu toujours synonyme de malheur. Puis la confiance, la tendresse et l'amour qui peut vous aveugler.

Terminus Belz est un huis clos exaltant où le lecteur est pris dans le rythme des vagues et ressent la même tension que s'il se trouvait sur l'un de ces bateaux de pêche. J'avoue avoir eu peur quelques fois de la tournure qu'aller prendre l'histoire mais je trouve qu'Emmanuel Grand s'en sort au final diablement bien.

mardi 14 janvier 2014

Moïra

Moïra est le nouveau roman de John C. Patrick paru en Novembre 2013 aux éditions Kyklos.

Présentation de l'éditeur :
1955. Un homme politique influent confie à Philippe Reuben, ancien Jedburgh, capitaine dans une unité parachutiste en Indochine, la tâche de démasquer les responsables d'une filière de prostitution située en Afrique du Nord alimentant des maisons closes clandestines en métropole. Ébranlé dans ses convictions profondes du fait de ses liens étroits avec les services secrets, confronté aux événements tragiques de la guerre d'Algérie, sa traque le conduira jusqu'à Dallas lors d'une journée funeste de novembre 1963.
Reuben devra faire face à des choix cruels tout en restant fidèle aux amitiés forgées dans les combats de la Résistance et de la guerre d'Indochine.

Une plongée en apnée dans les méandres de la guerre d'Algérie, au travers d'épisodes peu connus du grand public, instigués par ces hommes de l'ombre qui font vraiment l'Histoire.

L'auteur signe sa deuxième collaboration avec les éditions Kyklos après le très bon Le crépuscule des hyènes sorti en 2011. Comme avec son précédent roman, il revient avec une histoire d'espionnage et des scènes historiques peu connues qui font froid dans le dos.

Tandis que la décolonisation de l'Algérie se fait de plus en plus ressentir, on vit plusieurs épisodes qui ont fait l'histoire de cette révolution, aussi bien des épisodes connus que méconnus. A la veille de la cinquième république, on découvre comment De Gaulle est revenu sur le devant de la scène pour se faire élire Président fin 1958. On apprend d'ailleurs avec stupeur comment il réchappe à de multiples attentats ...

Mais le général, aussi grand soit-il, n'est pas la pièce maitresse de l'histoire. Non, il s'agit d'un militaire, le capitaine Reuben. Fraichement arrivé à Alger pour découvrir les dessous d'un réseau de prostitution, il va devenir notre œil ou notre guide pour traverser les périlleux moments orchestrés par les services secrets et autres organisations puissantes : les attentats terroristes de l'OAS, le FLN et l'ALN bénéficiant d'un réseau impressionnant pour son trafic d'armes et luttant contre l'envahisseur français, et même l'attentat de Kennedy trouve sa place parmi tous les évènements relatés par l'auteur.

On ressent toute la passion qu'a l'auteur pour l'histoire. Il cherche toutes les anecdotes les plus incroyables pour nous intéresser et ça fonctionne. Il intègre également ses personnages dans des situations qui ont réellement existé et les fait côtoyer des personnages qui ont également été présents dans ces moments. On est donc pleinement plongé dans ce roman tant il nous fascine et nous ébahit en dévoilant ces faces cachées de l'histoire. Le réel et l'imaginaire s'imbriquent parfaitement.

Moïra met en avant les hommes de l'ombre qui ont fait cette histoire telle que nous la connaissons, l'histoire qui est la nôtre. C'est un savant mélange d'action, d'histoire et de contre-espionnage, et c'est peut-être ce qui se fait de mieux dans le genre en France, alors profitez-en !




lundi 6 janvier 2014

Le poil de la bête

Je tiens tout d'abord à vous souhaiter à toutes et à tous une très bonne année 2014, qu'elle soit riche en bonnes lectures ! Je souhaite également vous remercier de me lire en espérant que je puisse aiguiller parfois vos choix de lecture. Ma fin d'année fut légèrement compliquée et j'ai quelques chroniques et lectures en retard ... mais commençons avec Le poil de la bête, le nouveau roman d'Heinrich Steinfest publié en France par Carnets Nord.

Présentation de l'éditeur :
Anna Gemini est une blonde discrète devenue tueuse à gages pour assurer une vie confortable à son fils Carl, adolescent handicapé dont elle ne se sépare jamais. Mère poule et tueuse free lance : Anna allie les deux sans états d’âme inutiles. Deux principes cependant lui tiennent à cœur : elle part toujours en mission avec son fils, et  ses victimes doivent acquitter elles-mêmes, d’une façon ou d’une autre, le prix de leur élimination.
Son chaperon dans le métier est Kurt Smolek, officiellement archiviste à la municipalité de Vienne, officieusement agent secret et intermédiaire en tout genre. Mais voilà qu’elle accepte de tuer un diplomate norvégien, à la demande de l’épouse de celui-ci et sans passer par les bons services de Smolek. Profitant d’une escapade du couple à Vienne, Anna liquide le diplomate et croit l’affaire close.
Mais ce meurtre inquiète le gouvernement norvégien, qui fait appel à Markus Cheng, détective privé autrichien mais exilé depuis quelques années à Copenhague.
Le privé Cheng, comme l’inspecteur Lukastik de Requins d’eau douce, est l’incarnation du flegme viennois : émotions maîtrisées et distance critique. Autrichien pur jus malgré un physique de Chinois, traversé en permanence par des états d’âme divers et variés, il a perdu sa femme et un bras au cours d’enquêtes précédentes, et ne regrette d’ailleurs ni l’un ni l’autre. Il forme un couple incongru avec son vieux chien, Oreillard, devenu incontinent, qui passe son temps à dormir et n’a jamais fait peur à personne.
Petit à petit, Cheng s’enfonce dans cette enquête en forme de sables mouvants, où tout le monde se connaît et court après le même Graal : la formule secrète de la première Eau de Cologne (4711), qui serait un élixir de vie éternelle.
Comme toujours, Heinrich Steinfest mêle les intrigues comme des filets pour mieux serrer son sujet : le bestiaire humain. Le tout pour décaper le monde moderne avec un sens aigu du politiquement incorrect et de la provocation douce.

Le style de l'auteur du Onzième Pion et Requins d'eau douce est toujours aussi parfait et je félicite la traductrice pour son travail. Comme pour ses deux précédents romans sortis en France, Le poil de la bête est un polar hors du commun alliant à la perfection le noir à l'humour complétement déjanté. C'est un succulent mélange de genre.

Heinrich Steinfest arrive en usant de l'absurde à montrer la difficulté à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Le lecteur se sent totalement abasourdi face à de tels comportements ou répliques présents dans le roman à l'image de ce superbe : "Il connaît votre absence de style très particulière.".
Certains de ces dialogues m'ont fait me rappeler le début du génial Procès de Kafka où K apprend qu'il est accusé mais il n'en connait pas la raison. Les dialogues tiennent la route, et pourtant, il est abhérant de ne pas connaître la raison de son arrestation. Ici, on est parfois dans le même cas de figure. Certaines choses semblent tellement logiques pour les personnages alors que pour nous c'est tout à fait surprenant. L'auteur exprime parfaitement cette incompréhension de la part de ses personnages du monde dans lequel ils vivent.

Parlons un peu de l'histoire. L'auteur met en scène une femme blonde intelligente et cultivée. Déjà, il va à l'encontre des stéréotypes. De même une femme, mère célibataire, qui devient tueuse à gage c'est plutôt rare. Celle-ci passe par un spécialiste de ces sortes de contrat, un homme instruit au nom de star : Kurt Smolek.

Kurt Smolek, c'est le personnage qui va permettre d'introduire l'art dans l'histoire. L'art prend une place très importante car elle est omniprésente et donne une certaine beauté à tous ces crimes. Il lie la beauté de l'art à l'horreur du meurtre. L'auteur gratifie les méthodes de ce Kurt Smolek en lui créant son adjectif éponyme : "Quant au principe smolekien de faire payer à l'assassiné son assassinat, il avait tant de charme et de puissance morale".
Kurt Smolek est un peu comme la pièce centrale de l'échiquier qui se met peu à peu en place. Il permet à plusieurs personnages de trouver leur place dans l'histoire. Une histoire où les personnages partent en quête du Graal, ou plutôt de la recette de l'eau de Cologne, et où l'on passe du folklore juif et son golem aux œuvres d'Albrecht Dürer. Tout cela semble n'avoir ni queue ni tête et pourtant le tout forme une sorte de conte hors du commun et parfaitement cohérent.

Avec Le poil de la bête, Steinfest confirme qu'il est un très grand auteur qui se démarque par son humour si particulier, loufoque mais totalement maîtrisé. Malgré quelques longueurs dans la seconde moitié du roman, Le poil de la bête est un roman prodigieux et fait d'Heinrich Steinfest un auteur vraiment à part.

Ce qu'il y a d'essentiel en matière d'univers parallèles, c'est qu'ils sortent tous du même nid.
L'art est une tentative pour déterminer la nature de ce nid.
D'après les notes de l'auteur.